Pratiques numériques des élèves, les comprendre pour mieux les accompagner

Comprendre le rapport des enfants et adolescents au numérique et la variété de leurs usages est essentiel pour accompagner leurs apprentissages. Avec Jocelyn Lachance, maître de conférences en sociologie et Iris Iriu, professeure-documentaliste et référente académique Éducation aux médias et à l’information (EMI). Avec les témoignages d'enseignants et d'élèves de lycée."

Transcription

Mélinée Chanard, Réseau Canopé.

-Développer le numérique à l'école constitue un enjeu pour construire la citoyenneté numérique, favoriser une école inclusive, assurer la continuité pédagogique et administrative, pour une école plus résiliente et pour la réussite de chacun.

Chaque professeur doit donc être formé aux compétences et à la culture numériques afin de s'inscrire dans une démarche de développement professionnel et de pouvoir accompagner ses élèves.

Un nouveau référentiel, inspiré du DigCompEdu européen, a été stabilisé en décembre 2021.

Ce cadre de référence des compétences numériques pour l'éducation, CRCN-E ou CRCN-Edu, donne lieu à un dispositif de reconnaissance de ces compétences destiné à rendre compte d'une maîtrise progressive dans la carrière de chaque enseignant.

Il fait l'objet d'une phase pilote qui a débuté en janvier 2022.

En partenariat avec le groupement d'intérêt public Pix, avec le soutien du ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse et financée dans le cadre du plan France Relance, Réseau Canopé propose une série de webinaires pour accompagner les enseignants dans ce dispositif.

"Les pratiques numériques des élèves : les comprendre pour mieux les accompagner" Kimi Do, Réseau Canopé.

-Bonjour.

De quoi on va parler aujourd'hui ?

L'objectif, enfin les objectifs pour les enseignants qui nous regardent, c'est d'avoir des repères sur les usages du numérique des adolescents dans la sphère privée et scolaire, de comprendre les besoins et les difficultés des élèves dans le monde numérique au-delà des préjugés, et d'identifier aussi des pratiques et des postures en classe pour accompagner les élèves.

Et pour cela, nous avons le plaisir d'accueillir Jocelyn Lachance.

Bonjour.

Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-Bonjour.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Vous êtes socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences à l'Université de Pau, membre de l'observatoire "Jeunes et société" du Québec.

Vous avez publié, entre autres, "Accompagner les ados à l'ère du numérique" en 2020.

Également avec nous, Iris Iriu.

Bonjour.

Vous êtes professeure-documentaliste et référente éducation aux médias et à l'information à l'académie de Lyon.

Merci d'être avec nous.

Pour ma part, je suis Kimi Do, je suis cheffe de projets transmédia à Réseau Canopé.

"Les usages numériques des adolescents" Alors, pour commencer, je vous propose une immersion dans les pratiques numériques des élèves avec cette collection de témoignages récoltés auprès de lycéens.

Une lycéenne.

-Moi, ce qui m'intéresse, je regarde souvent les réseaux sociaux pour regarder un peu la vie des influenceurs, etc.

Une lycéenne.

-Snapchat, pour moi, j'aime bien parce qu'on peut faire des photos, on peut tout envoyer et communiquer, demander à ses amis ce qu'on peut faire le lendemain.

Une lycéenne.

-Vu que j'étais de nature introvertie, ça m'aide à parler avec des nouvelles personnes sans les avoir en face.

Il y a pas mal de cosplayers que je suis sur TikTok.

Et ils vont, par exemple, créer des groupes exprès entre abonnés pour discuter entre nous.

Du coup, je me suis fait pas mal de potes comme ça.

Une fois que je m'entends bien avec eux et que je suis en confiance, je peux les voir en vrai.

TikTok me propose un fil d'actualités...

Plus je like, par exemple, des vidéos avec des personnes qui dansent, plus j'aurai des propositions de danseurs, de choses comme ça.

Une lycéenne.

-Les trends, c'est, du coup, les tendances.

C'est, par exemple, quelqu'un qui va commencer à faire une vidéo, tout le monde va faire la même vidéo par exemple avec le même son.

Et au final, tout le monde aura la référence.

Du coup, je la refais un peu à ma façon et je la mets dans ce qu'on appelle les brouillons sur TikTok.

C'est comme si on postait une vidéo, mais on est le seul à la voir.

Je suis en compte privé, donc il n'y a que mes abonnés qui peuvent voir, mais je n'ai pas forcément envie que mes abonnés voient ça parce que je préfère le garder pour moi.

Une lycéenne.

-Après, j'utilise aussi les outils numériques...

Par exemple, on l'utilise en cours pour regarder sur Google, des choses comme ça, pour faire des recherches.

Un lycéen.

-Quand je rentre du lycée, je passe à peu près 5, 20 minutes sur les réseaux sociaux, principalement YouTube, parce que j'aime bien regarder des vidéos.

Ça m'apporte des trucs, je trouve ça intéressant.

Une lycéenne.

-Pas mal de vidéos en anglais, parce que j'aime beaucoup ça, et de la danse, des mangas, Un lycéen.

-Je regarde aussi pas mal de chroniques politiques, ça m'intéresse, et puis des vidéos de divertissement en général.

Une lycéenne.

-Ça m'arrive de tomber sur des vidéos qui nous informent sur ce qui se passe de nos jours et tout.

C'est un influenceur qui s'appelle HugoDécrypte ou un truc comme ça et qui résume l'actu du jour dans une vidéo de 30 s ou 1 mn pour que ce soit rapide mais rester au courant.

Un lycéen.

-Pas forcément devenir plus intelligent, mais c'est juste que ça me permet d'avoir une nouvelle perspective sur ce qui m'entoure.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Voilà, on en profite pour remercier le lycée René-Descartes dans le Rhône.

Jocelyn Lachance, nous avons entendu les élèves parler de beaucoup d'usages différents.

Est-ce que ça vous semble caractéristique de ce que vous avez pu observer, vous ?

Et est-ce qu'on observe des variations en fonction des moments de la vie ou des lieux, l'école, à la maison ?

Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-Oui, c'est assez représentatif parce qu'on retrouve les trois grands champs des usages.

On retrouve la communication, on retrouve les passions et on retrouve l'information.

Mais derrière ça, il y a aussi des logiques ou des tendances.

Quand on voit, par exemple, cette jeune fille introvertie qui dit : "Je m'en sers un peu comme d'un intermédiaire."

Cette logique de l'intermédiaire revient très souvent, c'est-à-dire on va produire du contenu, faire des mises en scènes de soi avant la rencontre "en vrai", comme on dit parfois en sens commun.

Cette logique d'intermédiaire revient très souvent.

Ensuite, on a aussi cette logique de qu'est-ce qui m'appartient, qu'est-ce qui appartient aux autres ?

Une jeune fille disait : "Je garde du contenu pour moi, mais il y a des choses que je rends publiques."

Et ça permet aussi aux ados de faire la différence, de marquer cette frontière entre ce que je veux rendre public et ce que je veux garder privé de façon très matérielle en publiant ou en ne publiant pas.

C'est une autre logique qu'on voit.

Et puis, sur la logique d'information, il y a cette idée du contenu décrypté, court, facile, facile et accessible, quelque part.

C'est très questionnant aussi parce qu'on voit une génération qui est en quête d'un contenu qui lui correspond.

Et ça nous questionne, nous, parce que ça nous met en compétition, les adultes, avec du contenu produit par d'autres jeunes, des pairs, comme on le voit, et ça nous renvoie à ces questionnements.

Par rapport à votre deuxième question sur s'il y a des choses qui changent, il y a une logique, une tendance, qui est que les plus jeunes sont beaucoup dans l'expérimentation.

À travers leurs publications, ils sont dans des questionnements, pas des réponses.

Ils publient des choses, leur corps, des styles, des opinions, pour vérifier, pour faire des tests, pour avoir des retours.

Ça, c'est les plus jeunes.

Ensuite, en grandissant, ils rentrent dans une autre logique, qui est de mettre en avant des marqueurs du grandir, par exemple montrer qu'on a des relations privilégiées.

"J'ai un petit copain, j'ai une petite copine, j'ai mon best friend, etc."

C'est une manière de montrer qu'on devient adulte, on montre qu'on sait faire la différence entre les vraies relations et les relations moins importantes.

La troisième étape, si je peux l'appeler comme ça, c'est des jeunes qui rentrent dans les logiques de statut, qui mettent en avant des statuts d'eux.

On le voit chez les jeunes étudiants qui vont sur LinkedIn et montrent un profil un peu plus étudiant, professionnel.

Ils rentrent dans une logique de statut plus traditionnelle.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Dans ce qu'on a entendu aussi, certains élèves semblent avoir des pratiques assez poussées.

Certains disent : "J'écoute des vidéos en anglais", "J'écoute des chroniques politiques", d'autres parlent des trends, ces sujets tendance qui remontent dans les fils d'actualité.

Ils semblent capables de comprendre aussi ces logiques de tendance, mais on imagine que les pratiques et les compétences ne sont pas homogènes et qu'il y a une disparité.

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-C'est vrai que, quand on se retrouve devant des élèves, en dehors des grandes tendances que Jocelyn Lachance a décrites, on ne peut pas se dire qu'on a un groupe homogène au niveau de la culture du numérique et de l'information.

Au lycée, ils ont déjà un parcours scolaire derrière eux, il n'y a pas une homogénéité de pratique parfaite.

On ne peut pas dire : "Voilà, ils font tous ça."

Mais il va y avoir aussi des parcours scolaires différents, et ils vont avoir rencontré le numérique de manière différente.

Aujourd'hui, on a quand même des attendus au fil de la scolarité, mais selon la façon de travailler des professeurs, les élèves vont avoir plus ou moins pris du recul sur leurs pratiques et plus ou moins les avoir adaptées aux attentes scolaires.

Après, ce qui est intéressant aussi, c'est de voir ces attentes scolaires.

Il y a, un petit peu, un jeu entre les familles et l'école où, d'un côté, les enseignants attendent beaucoup souvent des familles en termes de formation de l'enfant sur le numérique, sur la culture informationnelle.

On va entendre souvent des différences de pratique liées par exemple à l'origine sociale.

Un enfant qui vient d'une culture peut-être plus défavorisée aura des pratiques numériques plus difficiles, il va être moins acculturé, etc.

Ce n'est pas toujours vrai, la famille ne fait pas tout.

Et a contrario, de la part des familles, on a des grosses attentes de la scolarité, où on va espérer que les enfants rentrent dans des usages, et des "bons usages", du numérique, bien s'informer, bien utiliser les réseaux sociaux, alors que le rôle de l'école est la formation du citoyen, mais on n'est pas tout-puissants.

Il y a des usages qui sont des usages...

Ce que décrivait Jocelyn, ce sont des usages privés, pour une certaine part, et on n'a pas une mainmise sur les usages privés de nos élèves.

C'est important qu'on rentre dans la co-éducation, que les parents et les enseignants puissent ensemble tutorer ces élèves pour arriver à leur faire prendre du recul sur leurs usages.

Ils vont grandir dans leurs usages.

Effectivement, ce sont des choses qu'on observe.

Ils doivent aussi les adapter à la scolarité qui les adapte au monde professionnel.

Ça, on doit le faire ensemble.

Il y a une co-éducation vraiment à poursuivre, enseignants et familles.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Pour bien les accompagner, il faut avoir conscience à la fois des compétences et des lacunes dans lesquelles il faut accompagner les élèves.

Sur la partie compétences, on a entendu des élèves dire : "Plus je like des vidéos de danse, plus le réseau m'en proposera."

On a là une forme de conscience du fonctionnement du système de recommandations.

Plus loin, on entend un élève dire : "Je mets telle vidéo dans mes brouillons sur TikTok pour qu'elles ne soient pas publiques."

Là, on a un contournement de l'injonction de publier pour préserver sa vie privée.

On peut se demander, Jocelyn, je m'adresse à vous, à quel point les jeunes comprennent le fonctionnement des plateformes numériques et comment ils gèrent à la fois leur besoin de les utiliser et les intérêts de ces plateformes à capter leur attention, leurs données, et susciter toujours plus d'engagement.

Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-Oui.

C'est vrai que c'est une forme d'inégalité.

C'est important de le rappeler, que les jeunes ne sont pas tous égaux par rapport au numérique, et on le voit par rapport à la réflexivité qu'ils vont avoir.

Certains vont avoir un recul, même quand on fait des entretiens avec des jeunes de 13 ou 14 ans, parfois on est surpris de voir le recul qu'ils ont, et l'exemple des algorithmes est très bon.

Certains ne vont franchement pas en avoir conscience du tout ou très peu, d'autres, au contraire, s'en servent comme d'un miroir dans leur pratique.

Ils vont se rendre compte qu'on leur renvoie certains contenus et ils vont s'interroger sur leurs propres passions, se dire : "Est-ce que ce n'est pas démesuré ?"

Ça, ça ressort.

Il y a une forme d'inégalité.

Par contre, on peut dire qu'il y a une norme chez les plus jeunes.

Et la norme, c'est de penser cette cohérence qu'il faut trouver entre les différents espaces où on s'expose.

Si vous vous exposez, je ne sais pas, sur Instagram, TikTok, mais aussi dans les espaces publics, comme à l'école, il faut que ça soit cohérent parce que les ados sont très bons pour tester entre eux cette cohérence.

Vous avez affiché ça sur Internet, telle chose sur tel réseau social la veille, vous arrivez à l'école, "C'est contradictoire avec ce que tu fais ou ce que tu dis aujourd'hui."

Donc, c'est très important de s'en souvenir, la norme, c'est d'être capable de montrer cette cohérence.

On l'a vu dans des enquêtes avec les jeunes qui s'engagent pour Youth For Climate, par exemple, très jeunes.

Leurs engagement sur la Toile ne correspondaient pas nécessairement à leur discours dans la cour d'école.

Il y avait des réajustements ou des jeunes qui disaient : "Je ne vais pas afficher sur les réseaux sociaux mes engagements parce que je ne serai pas capable de justifier à l'école."

C'est très présent.

C'est un premier élément important à se rappeler.

L'autre élément, c'est sur les données, données personnelles, que vous avez évoquées.

La grande question qui se pose, c'est est-ce que les jeunes sont différents des adultes ?

C'est une bonne question parce que si on parlait aux auditeurs de ce soir, on leur demandait si dernièrement ils ont cliqué "oui" à une notice pour accéder à un service sur Internet sans avoir lu la notice, probablement qu'ils seraient 99,9 %, et on en fait aussi partie.

Là, ça pose une question aussi sur ce qu'on envoie comme message aux plus jeunes.

Ceci étant dit, le travail doit quand même être fait et espérons peut-être qu'ils apprendront plus que nous, qui avons été happés par cette vague des données personnelles dont on ne sait pas toujours ce qu'elles deviennent.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Iris, qu'est-ce que vous en pensez, en tant que référente EMI ?

Les jeunes ont compris que les plateformes numériques ont des intérêts qui peuvent entraver leur vie privée, leur esprit critique, et en même temps, jusqu'où va cette prise de conscience et quelles sont les lacunes sur lesquelles il faut travailler en classe ?

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-Je suis d'accord pour dire qu'il y a des grandes disparités.

Du coup, on a des élèves, dès le collège, qui ont des pratiques très différentes par rapport à ça, mais l'école s'est emparée quand même de ce sujet, du sujet, par exemple, de l'identité numérique, du modèle économique des réseaux sociaux aussi.

Notamment, on peut le voir assez récemment, lors de la réforme du lycée, on a eu l'apparition de l'enseignement de Sciences du numérique et technologies, SNT, en seconde, qui est un enseignement obligatoire et qui va aborder, il y a un chapitre "Réseaux sociaux", et il va aborder ce sujet-là.

Donc, on étudie le modèle économique des réseaux sociaux, avec des choses sur l'économie de l'attention.

On se rend compte, au moment de mettre en place ces enseignements, que les élèves n'ont pas forcément conscience de ce que c'est.

Pour eux, c'est des applis gratuites.

Instagram, c'est gratuit, Snapchat, c'est gratuit.

Bon, ben, voilà.

Ils savent, "données personnelles", ils en ont entendu parler, les mots ne leur sont pas inconnus, mais la logique commerciale, économique autour de ça, c'est quelque chose qui n'est pas bien compris.

Donc, c'est un objet d'étude, d'enseignement, on peut en faire plusieurs choses, on peut le rattraper en mathématiques, on peut l'attraper en EMC, voilà.

C'est quelque chose qui est intéressant à étudier au niveau économique.

Ce qui est intéressant aussi dans le programme de SNT, par rapport aux usages de nos jeunes, c'est qu'il y a un pendant débat de société dans chaque chapitre et dans les réseaux sociaux aussi.

Par rapport au fait, par exemple, de se montrer sur Internet ou sur les algorithmes.

Ça, c'est un exemple intéressant parce qu'ils sont un peu ambigus.

Certains disent : "C'est bien, ça me montre plus de vidéos de danse, j'aime l'algorithme et qu'on me propose des vidéos qui m'intéressent."

On peut le mettre en débat en classe, il ne faut pas hésiter, ce n'est pas tabou.

On peut aussi obliger l'élève à prendre le contrepied et essayer d'interroger la déconnexion, d'interroger la diversité, la pluralité, des sources d'information, de dire : "Est-ce qu'on ne se coupe pas, avec ces logiques-là, de choses qu'on aurait découvertes autrement si on n'avait pas eu l'algorithme ?"

C'est vrai que ce qui est intéressant, c'est qu'on a des moments propices, notamment les SNT, c'est vrai que c'est particulier, pour mettre en débat ces sujets avec les élèves et construire de la connaissance ensemble et surtout de la réflexivité.

On n'est pas du tout sur une connaissance descendante, on n'est pas à dire : "C'est comme ça", "Il faut", on est plutôt à interroger la logique des réseaux sociaux et de leurs pratiques.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Je reviens sur ce terme "interroger" leurs pratiques et leurs connaissances.

Un mot qu'on entend souvent sur lequel il est intéressant de revenir, c'est le mot "digital native", justement.

Qu'est-ce que ça interroge ?

Est-ce que vous pourriez revenir sur ce terme et sur ce qu'il cache justement en besoin d'accompagnement ?

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-Les digital natives, ce sont ces enfants qui sont nés à l'ère du numérique et qui s'opposent à nous, qui sommes nés débranchés, voilà.

C'est vrai qu'il y a des représentations autour de ça et notamment la représentation d'élèves qui comprendraient mieux, seraient plus au courant que nous de ce qui se passe dans le monde du numérique.

Déjà, le monde du numérique est très large, donc ça ne veut rien dire.

Il y a des adultes extrêmement experts sur certains points du numérique et ce niveau d'expertise n'est pas atteignable par un enfant.

Un adulte qui est codeur, qui développe, il a tout un attirail de connaissances que l'élève va devoir construire.

On ne naît pas avec la capacité de coder.

Mais derrière ça, il y a beaucoup de représentations des enseignants par rapport à la culture des jeunes.

Quand on dit "digital native", on peut penser : "Ils se débrouillent mieux que moi", mais ils sont très différents.

Il y a une fracture entre leurs pratiques et mes pratiques.

Derrière ça, il y a l'idée qu'il y a des bonnes pratiques numériques et des mauvaises pratiques numériques.

Ce que je préfère dire, parce que ça dénigre quand même les pratiques des jeunes, et c'est dommage, ça serait de dire qu'il y a des pratiques plus adaptées à la scolarité, que l'élève n'arrive pas dans l'école en ayant une conscience très aigüe de ce qui est attendu en termes de compétences numériques et informationnelles, d'ailleurs, à l'école.

C'est quelque chose qu'il va devoir construire et notre rôle est de le faire monter en compétences.

Il faut définir des compétences numériques et informationnelles que l'école construit avec l'élève qui ne sont, effectivement, pas innées.

Il ne faut pas s'attendre à ce que les élèves sachent déjà, en arrivant, ce qui est bien.

En même temps, ce modèle scolaire est bon parce qu'il est adapté à l'école, parce qu'il s'adapte aux attendus de l'école et professionnels, par exemple des niveaux de langage, bien s'exprimer sur un réseau social ou bien s'exprimer par mail, c'est une compétence professionnelle et scolaire.

Sourcer son information, diversifier les sources, ce sont des compétences scolaires.

Ça ne veut pas dire que les pratiques qu'ils ont en dehors de l'école sont mauvaises.

Jouer aux jeux vidéo n'est pas une mauvaise pratique numérique.

On ne peut pas se positionner et dire : "C'est pas bien."

Regarder YouTube n'est pas une mauvaise pratique informationnelle.

Il y a juste des attentes différentes.

C'est bien de les définir et d'en parler comme ça aux élèves, de se positionner en tant qu'enseignant avec des attendus qui sont propres.

Ce qui est intéressant, en revanche, et qui me pose question, je n'ai pas forcément de réponse à donner, c'est la porosité entre leurs pratiques et l'école, dans l'autre sens, c'est-à-dire qu'on a tendance, c'est intéressant, à voir des enseignants qui se réapproprient des éléments culturels très forts de la culture jeune numérique et informationnelle, notamment le live, en ce moment.

Des enseignants vont récupérer le live Twitch ou l'outil Twitch pour travailler comme support avec des élèves.

On l'a vu avec Brut aussi, des médias qui sortaient à un moment, c'était nouveau, et les enseignants qui voulaient se les réapproprier.

Je n'ai pas de réponse, c'est intéressant.

En tout cas, ça montre aussi aux élèves qu'on peut valider cette culture-là en tant qu'enseignant parce qu'on va y travailler des compétences qui sont les compétences de l'école, par exemple l'oral ou l'écrit, des compétences fondamentales de l'école.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-C'est intéressant, cette question de valider, de valoriser leurs connaissances et leurs compétences.

De votre côté, Jocelyn, par rapport à ce terme de digital native, qu'est-ce que vous observez de cette reconnaissance des pratiques des adolescents par leur famille et par les institutions ?

Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-Il y a quelques années, on a posé la question aux ados dans des enquêtes qualitatives, on leur a demandé : "Pensez-vous que vos parents savent moins de choses que vous sur le numérique ?"

Et ça a complètement déconstruit ce mythe du digital native, qui est critiqué depuis déjà très longtemps, car la plupart des ados nous ont dit : "Non, ils ne savent pas moins de choses", donc c'est intéressant.

Ils disaient : "Mon père fait telle chose et dans tel domaine de l'informatique, il est plus fort, les logiciels, il est plus fort.

Ma mère fait telle chose, elle est beaucoup plus compétente que moi, etc."

C'est assez intéressant parce que ça montre à quel point c'est un mythe complètement construit par les adultes.

Ça pose la question pourquoi, finalement, on garde des catégories comme ça, pourquoi, nous, en tant qu'adultes, on tient à des catégories pour mettre à distance les adolescents.

C'est une façon de dire qu'ils sont dans une autre catégorie, quelque part, on est un peu étrangers, et puis, ça résume aussi leur rapport à l'objet du point de vue utilitaire, c'est-à-dire qu'ils utilisent un objet, et cetera.

Alors, la question que ça pose, c'est : qu'est-ce que ça cache ou qu'est-ce que ça vient dissimuler ou masquer ?

C'est vrai que derrière cette appellation de digital native, il y a, à mon avis, quelque chose qu'on met de côté et qui est central, c'est simplement de se poser la question du sens que les adolescents donnent à leur comportement.

Et ça, c'est très important parce qu'on peut parfois avoir des pratiques très proches de celles des ados, mais ils ne vont pas nécessairement mettre la même signification.

Cette signification va être, très souvent, liée à la formation de l'identité, à des questions, pour les spécialistes de l'adolescence, il n'y a pas trop de nouveautés, des questions sur le genre, des questions sur la sexualité, sur le corps, sur la relation à l'autre, sur l'avenir, etc., qui reviennent en permanence.

Alors, pourquoi s'empêcher de se rappeler que les adolescents jouent leur identité ?

C'est ça, la question.

Pourquoi les ramener dans un usage utilitaire alors que c'est un usage identitaire ?

La réponse est assez facile et en même temps, il ne faut pas se flageller trop vite, parce que c'est compliqué.

Lorsqu'on commence à creuser, ça renvoie quand même à des questionnements très intimes, ça renvoie parfois aussi à nos propres relations avec les enfants que ce soit dans le domaine professionnel ou personnel, et donc, ça vient déplacer le débat du numérique vers quelque chose de parfois un peu plus difficile à discuter.

Mais à mon avis, la clé de tout ça, c'est de revenir au sens et de revenir, tout simplement, à l'hypothèse que derrière la pratique la plus anecdotique à nos yeux, a priori, il y a quelque chose de potentiellement important, d'investi émotionnellement très fortement.

Ce que je conseillerais, c'est de dire que finalement, retournons à l'hypothèse qu'il y a du sens.

OK, je n'aime pas ces jeux vidéo.

OK, je n'aime pas ce qu'il ou elle fait sur TikTok.

OK, je n'aime pas ça, mais supposons qu'il y a du sens.

De cette manière, on peut se réhabiliter comme interlocuteur potentiel.

Parce que si vous dites, dans le numérique ou dans les jeux vidéo, pour reprendre cet exemple : "ce n'est que du divertissement, il n'y a rien", vous comprenez que le jour où un adolescent, une adolescente va vouloir discuter de ce qui se joue fortement pour lui ou elle, il n'ira pas vers vous.

C'est une chose qu'on fait dans le quotidien en permanence, on s'invalide comme interlocuteur potentiel.

Et finalement, c'est nous qui creusons le fossé des générations.

Ça, c'est quelque chose qu'il faut se rappeler et qu'on a une place dans tout ça parce que même sans être un expert du numérique, en tant qu'adulte, on a une expertise de la relation à l'autre quand même, un minimum, je pense, en tant que professionnel, en tant que parent.

Là, on peut retrouver sa place légitime dans tout ça.

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-Quand un enfant a un comportement dangereux ou il se met en danger sur un réseau social, on dit souvent : "Il n'est pas compétent, il n'a pas compris les réseaux sociaux."

Mais il y a des enfants qui ont bien compris et ça ne remet pas forcément en question leur compétence, voire, d'ailleurs, ils ont parfois compris comment se mettre en danger.

On ne parle pas de la même chose.

Et ça aussi, il faut faire attention, effectivement.

Compétence numérique, ce n'est pas forcément compétence relationnelle.

"Les pratiques pédagogiques des enseignants pour accompagner les élèves" Kimi Do, Réseau Canopé.

-On a beaucoup parlé des pratiques numériques des élèves.

J'aimerais qu'on aborde maintenant les pratiques pédagogiques des enseignants pour les accompagner.

Je vous propose d'écouter le témoignage de ces deux enseignants.

Un enseignant.

-On a travaillé en EMC, en éducation morale et civique, pour les sensibiliser aux dangers d'Internet et qu'on n'était pas libres parce que le thème, c'est la liberté, de faire tout ce qu'on veut sur Internet.

Et pour travailler là-dessus, on est partis d'une étude de cas.

C'était l'histoire d'une élève dont la photo avait été mise sur Internet à son insu, sans son autorisation, compromettante à ses propres yeux, et qui avait été reprise et diffusée par d'autres camarades.

Ils devaient travailler par petits groupes et proposer des solutions : d'abord des solutions à chaud, c'est-à-dire leurs propres solutions directement, et puis après, proposer des solutions en ayant connaissance des textes de loi, des organismes officiels qui peuvent leur donner un coup de main dans ce type de situation.

Une fois qu'on a fait ça, ils ont réalisé des réponses sur réseau social qu'on a publiées sur le site du lycée.

Un enseignant.

-On leur dit qu'on va travailler sur les réseaux sociaux, ils sont positionnés en groupes et on leur donne un sujet : l'économie des réseaux sociaux, les différents droits liés aux réseaux sociaux, et toute une partie sur l'identité numérique.

Et à partir de là, ils sont obligés d'aller chercher de la documentation pour pouvoir répondre aux questions.

C'était en appui avec la documentaliste, on en fait travailler sur la fiabilité des sources, etc.

Et puis, ensuite, à partir de ces informations, ils construisent une série de questions pour construire des quiz en allant travailler sur Learning Apps.

C'est un jeu, on joue, et si on n'est pas capable de répondre, on perd, donc il faut recommencer, et à force de rejouer, on apprend.

C'était notre pari, quand on l'a fait : un, en s'investissant, en faisant les recherches, ils acquièrent des connaissances et développent des compétences, et deux, en jouant derrière, et en jouant aux jeux que les autres ont préparés, ils apprennent des notions sur un sujet qu'ils n'ont pas spécifiquement traité.

Un enseignant.

-Ce qui m'a surpris, par rapport aux années précédentes, c'est qu'on se rend compte qu'ils ont de plus en plus conscience qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, donc ils sont beaucoup moins naïfs qu'avant.

L'élève de seconde qu'on a aujourd'hui est un élève plus averti que l'élève de seconde d'il y a quatre ans, cinq ans.

Un enseignant.

-Ils sont dans le monde de l'image, ils font très attention à leur identité numérique, et ils savent qu'il peut y avoir des dérives aussi.

Par contre, ce qu'ils envisagent assez peu, très peu même, c'est que les informations qu'ils vont publier actuellement sur les réseaux sociaux, elles peuvent s'inscrire dans une durée, une temporalité qui va aller au-delà de leur adolescence.

Moi, je ne suis pas très engagé, voire très peu, sur les réseaux numériques, et du coup, je me retrouve dans une posture un peu délicate, avec des élèves qui, d'un certain côté, sont bien plus au fait des choses que moi.

Et là, on se retrouve dans une situation un peu inversée.

Du coup, la posture, ça reste toujours d'organiser le travail, mais avec des oreilles grandes ouvertes pour essayer, en même temps que les élèves travaillent, d'être dans une forme d'autoapprentissage pour moi, parce que je me nourris beaucoup de ce que j'entends, de ce que je vois, de ce qu'ils vivent, qu'ils racontent.

Ça me permet de monter en expertise, en réalité.

Donc d'une année à l'autre, ça va s'améliorer, j'espère.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Un grand merci aux enseignants du lycée René-Descartes dans le Rhône.

C'est très bien de finir sur la réflexion qu'il fait à la fin, et ça vient poursuivre ce qu'on disait juste avant.

Il parle justement de la compétence de l'adulte à accompagner les élèves en disant : "Je ne peux pas connaître toutes les pratiques des élèves, tous les outils qu'ils utilisent, et ça me force à repenser mon rôle."

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-J'entends beaucoup de choses dans ces témoignages.

Et effectivement, ressort un peu, de manière transversale, le fait que les sujets qui touchent à l'éducation aux médias et à l'information, à l'EMI, au numérique, ce sont des sujets qui sont très propices à la pédagogie de projet, on voit que les enseignants sont en projet, à la pédagogie active, en plaçant l'élève acteur de ses apprentissages...

On est dans des logiques qui ne sont pas descendantes.

C'est l'expérience qui va être proposée par les professeurs de l'élève, en classe, en groupe.

On l'a entendu aussi avec l'enseignante au début.

On leur propose des scénarios, on leur propose de réfléchir.

C'est ça qui va construire la connaissance, et c'est vrai que c'est des sujets propices.

Il y en a d'autres à l'école, ce n'est pas le seul, mais il faut s'en emparer de cette manière-là.

L'EMI, c'est transversal, c'est pour tous les enseignants.

Le numérique, ça concerne tout le monde.

Il n'y a pas de professeur plus spécialisé qu'un autre, pour les sujets de société, en tout cas.

Après, il y a des spécialités, des enseignements en lycée, mais dès le collège, on a cette transversalité de ces sujets-là.

On peut s'en emparer en pédagogie active.

Ça va nous interroger sur la posture de l'enseignant : finalement, est-ce qu'il est en pleine capacité, connaissance de tout ce monde-là ?

C'est plutôt : ensemble, on se met devant des activités qui nous permettent de réfléchir et de construire ensemble une réflexion.

C'est peut-être moins stéréotypé que ce qu'on a l'habitude de rencontrer dans des situations d'enseignement différentes, mais c'est riche aussi.

Et ce que j'entends aussi, dans ces témoignages...

Je me permets de passer aussi à un autre sujet.

C'est l'importance de la règle, de la loi.

Il faut rappeler qu'à l'école, on a la formation des citoyens en charge.

Pas que nous, les parents aussi, la société civile aussi.

Mais à l'école, c'est très important.

On vit dans un État de droit, et Internet et le numérique ne sont pas exclus de cet État de droit.

Et on a des connaissances à faire passer.

Dès le plus jeune âge, je pense que c'est important de voir ce qu'est le droit à l'image, par exemple.

C'est quelque chose qui est central, ça existe.

Quand on se fait voler une photo de soi et publier, oui, il y a un délit.

Je ne suis pas juriste, mais on va à l'encontre de la loi.

Et ça, c'est des choses qui sont très peu intégrées par les élèves.

On repère des comportements qu'on retrouve très souvent chez les élèves.

Et le premier recours, en cas de malveillance, par exemple l'utilisation malveillante d'une image, c'est souvent les copains.

Ce que je voulais dire aussi...

On entend cet enseignant qui dit : "Je ne suis pas au courant de tout, et quand je les regarde, ils m'apprennent beaucoup."

C'est une posture qui est très intéressante.

On est avec eux toute la journée quand on est enseignant.

On a de la chance, on a notre terrain, comme ça, sous les yeux, donc observons-les, bien sûr, et ne faisons pas un refus de ça.

C'est très important de regarder comment ils sont.

C'est comme ça qu'on a mis en place des stratégies de recherche.

Google est prédominant.

En les observant quand ils cherchent, on peut agir et proposer des alternatives.

Si on ne comprend pas ce qu'ils font, c'est difficile d'arriver comme ça, avec notre méthode clé en main.

Donc c'est vrai qu'il faut les observer beaucoup.

Sur le numérique, en tout cas, c'est très important.

Et si on se sent dépassé, il faut aussi se rappeler que dans le second degré, on a un collègue qui a une expertise en éducation aux médias et à l'information, c'est le professeur documentaliste.

Je prêche pour ma chapelle, parce que j'étais professeure documentaliste, mais c'est vrai que ça fait partie de ce métier de mener une veille, de se tenir au courant, sur le numérique éducatif, bien sûr, sur l'éducation aux médias et à l'information, mais aussi, pourquoi pas, sur les pratiques adolescentes, les pratiques, les usages numériques.

Par exemple, ça me semble évident que quand TikTok apparaît, un professeur documentaliste va aller regarder ce que c'est.

On ne peut pas rester aveugle.

Ça ne veut pas dire qu'il va se mettre à regarder des vidéos toute la journée.

Il va le regarder comme un professionnel.

Et quand "Le Monde" crée un compte sur TikTok pour faire de l'information pour les jeunes, normalement, il est au courant.

Il y a plein de professeurs documentalistes qui diffusent ça auprès des collègues en leur disant : "Allez y jeter un coup d'œil, parce que c'est le quotidien de nos élèves, et on est avec eux tout le temps."

Voilà.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Vous, Jocelyn, de votre côté, par rapport à la posture de l'enseignant qui fait de la veille, qui fait de la recherche, qu'est-ce que vous avez pu observer ?

Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-Ce que je trouve très intéressant dans cet exemple, c'est que finalement, il vient jouer son rôle d'agent réflexif.

Il va remettre de la réflexivité pour tout le monde, il va s'assurer que tous les ados puissent avoir du recul.

Donc c'est super, mais en l'écoutant, je me disais : "Mais il y a aussi toutes les erreurs qu'il ne fait pas et que l'on fait encore trop souvent."

Vous l'avez déjà dit, la première, c'est la posture autoritaire.

Forcément, quand on n'a pas toutes les connaissances, il faut partager, et j'ai beaucoup aimé l'humilité de cet enseignant.

Il y a quelque chose de très important dans cette posture : "Je ne connais pas tout, mais je connais mes forces."

Et je trouve ça intéressant.

Il ne s'empêche pas d'y aller, même s'il est en terrain pas tout à fait connu.

Et ça, c'est très important.

Et l'autre aspect que j'aime beaucoup, il évite un écueil que beaucoup font encore, c'est qu'il évite ce discours sur la peur.

La peur, la peur, la peur.

On voit encore trop d'interventions où les gens mettent l'accent d'emblée, tout de suite, sur les dangers.

Laissons les adolescents venir eux-mêmes vers les dangers qu'ils veulent nous partager.

C'est beaucoup plus efficace que d'arriver avec nos propres peurs, nos propres angoisses, parfois avec un langage qui ne correspond pas tout à fait à la réalité des adolescents.

Je me souviens, on a mené une enquête, on posait une question sur le harcèlement : "As-tu déjà été harcelé en ligne ?"

33 % "oui", 33 % "non", 33 % "je ne sais pas".

Qu'est-ce que ça vient nous dire, le "je ne sais pas" ?

Ça veut dire que, peut-être, le mot qu'on utilise ne correspond peut-être pas exactement à leur réalité.

Peut-être qu'il y a des réalités beaucoup plus subtiles.

Je prends l'exemple de la violence en ligne mais il y a peut-être des réalités beaucoup plus subtiles que ce qu'on croit qu'il existe et qui devrait être important.

Et je trouve que dans cette posture, il évite ça, il évite de tomber dans ce piège et d'arriver à s'invalider.

On a vécu ça aussi à notre époque.

Quand il y avait de la prévention sur d'autres sujets, quand on avait, face à nous, un intervenant qui commençait en disant trois choses qui ne correspondaient pas à ce qu'on vivait, c'était fini, on passait à autre chose.

Il était décrédibilisé.

Je trouve que dans cette posture, il y a beaucoup à apprendre.

On évite la posture d'autorité, mais on évite de commencer par la peur.

On peut aborder les risques sans tomber dans cet écueil.

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-On n'a pas parlé de désinformation, par exemple, mais là aussi, il y a des autoroutes d'écueils.

On va entendre beaucoup d'adultes qui disent : "Les élèves suivent les théories du complot, sont désinformés, vont vers les fake news."

Il faut regarder nos élèves.

Dans les CDI, on a cette opportunité, qui est d'ailleurs très propice, de les voir chercher.

Et on peut en parler avec eux, il faut ouvrir le dialogue.

On se rend compte, souvent, qu'ils sont surtout...

Quelque part, ils s'informent mal si le mal, c'est au regard de ce qu'on aimerait qu'ils fassent.

Effectivement, ils n'écoutent pas France Inter le matin.

Ils ont d'autres façons de s'informer qui nous renvoient à nos propres pratiques, puisque nous-mêmes, on a des pratiques d'information.

Et elles sont tellement différentes, elles sont tellement éloignées qu'on ne les comprend pas, et on va se dire : "Ils sont tellement mal informés que c'est de la désinformation."

Mais en fait, non.

On a des élèves, on l'a entendu, qui cherchent à bien s'informer, mais ils vont aller vers des formats plus courts, vers des formats numériques, c'est clair.

Le papier, on a très peu d'élèves qui y vont, mais ils vont aller ailleurs, et ça ne veut pas dire que leurs manières de faire sont invalides.

Ça ne veut pas dire non plus que les fake news n'existent pas, mais on peut accueillir ça aussi.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Je voudrais qu'on revienne sur les exemples d'activités qu'on a entendus.

On a entendu un enseignant dire qu'il travaillait sur l'identité numérique, sur les modèles économiques, sur le harcèlement en ligne.

Est-ce que vous pouvez nous donner des exemples d'activités que vous trouvez particulièrement pertinentes à mener aujourd'hui en classe ?

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-Il y a beaucoup de choses à faire, c'est très riche.

Moi, j'aime bien travailler sur le statut d'auteur des élèves, leur faire faire des pas de côté par rapport à leurs habitudes, mais continuer, par exemple, à les faire contribuer sur les réseaux sociaux, ou changer même ce statut de contributeur pour devenir auteur, par exemple journaliste.

Donc on peut, de manière très intéressante, travailler le média scolaire, donc la création d'un journal, d'une publication en ligne, d'une webradio, où l'élève va publier quelque chose, c'est un geste qu'ils connaissent bien, mais le faire avec un autre statut, très différent de leur statut privé.

Ils vont publier en étant journalistes d'un média scolaire, et ça implique beaucoup de changements.

On répond à des lois différentes, qui sont très encadrées mais qui sont aussi libératrices.

La liberté d'expression et la liberté de la presse peuvent porter l'élève aussi.

C'est aussi un cadre formel, puisque le journaliste donne de l'information, donc il va relever du fait.

On n'est pas là pour dénigrer, on ne peut pas faire du prosélytisme, donc il faut aussi se décentrer dans sa pratique.

Mais en même temps, on est aussi dans une pratique de publication.

Du coup, ils peuvent transférer aussi des compétences et apprendre de nouvelles compétences.

Une activité en classe de média, c'est quelque chose qui est très propice à faire venir la réflexion, à faire grandir l'esprit critique.

Ça peut se mener à tous les niveaux de l'école.

Chez des tout-petits, il n'y aura pas de transfert, parce qu'ils ne publient pas, normalement, sur les réseaux sociaux.

Mais dès le collège, ils ont un regard sur le réseau social...

C'est quelque chose qui est très désirable pour eux, qui n'est pas forcément une pratique mise en place.

Et en les faisant publier dans le cadre d'un média scolaire, ils vont pouvoir s'affirmer en tant qu'auteurs, se rendre compte de la responsabilité.

On peut le faire aussi sur des publications en ligne, sur du microblogging type Twitter, de la publication courte sur du réseau social.

Ça, on peut le faire même tout petit.

On a des expérimentations, on voit en classe des professeurs des écoles qui créent des comptes, soit sur un ENT qui serait mis en place par l'école, soit sur des réseaux sociaux connus, de la classe.

Là, ce n'est pas l'élève qui publie, c'est le groupe.

Et ça va permettre de réfléchir...

Même des grande section de maternelle.

Et donc, chaque semaine, par exemple, le groupe de la classe va choisir, ensemble, de rendre compte de ce qui s'est passé dans la classe par une phrase qui sera twittée.

On va aborder plein de choses très intéressantes par ce genre d'expérimentation : à qui on s'adresse et comment on adapte, sur ce genre de plateforme, la forme de l'écrit à notre public.

Et ça, c'est très propice à réfléchir.

Il faut que l'enseignant s'en empare, mais voilà.

Et si, par exemple, un groupe d'élèves, dans la classe, propose qu'on twitte : "Encore une fois, c'était pas bon à la cantine", on peut aborder le fait qu'on publie pour le groupe.

La responsabilité de publication, c'est le groupe.

L'enseignant, bien sûr, mais le groupe.

Est-ce que tout le monde est d'accord ?

Peut-être qu'il y en a qui ont bien aimé la cantine.

Est-ce que ça porte préjudice à quelqu'un ?

Et dans ce cas, si ça porte préjudice à la dame ou au monsieur de la cantine, qu'est-ce qu'on fait ?

Est-ce qu'on le met en difficulté et on publie quand même ?

Ou est-ce qu'on ne publie pas pour ne pas le mettre en difficulté ?

Ou est-ce qu'on lui donne un droit de réponse et c'est lui qui va blogguer la semaine prochaine ?

Ça pose la question de la responsabilité de l'auteur pour des tout-petits.

On peut faire débattre les enfants, et ils comprennent.

Les enfants sont socialisés, et finalement, le réseau, c'est un réseau social, c'est le même jeu de socialisation.

Voilà.

Dès le premier degré, c'est intéressant de se dire que les professeurs des écoles peuvent s'en emparer.

Et puis, après...

Ça, c'est des activités qui vont indure la réflexion, mais on peut aussi avoir des activités d'analyse.

Il y a des choses très intéressantes sur les analyses des influenceurs : les codes, la façon dont ils s'expriment, le code de se montrer, et en même temps, le fait qu'il y ait des produits montrés, qu'il y ait de la publicité.

On peut avoir des grilles d'analyse, et là, l'élève, il a une pratique.

L'influenceur, il l'a déjà vu.

Des élèves qui n'ont jamais regardé de vidéos d'influenceurs, il y en a très peu, mais ils vont faire un pas de côté, et plutôt que d'être juste public, ils vont être critiques.

Et ça, c'est intéressant.

C'est comme quand on fait une analyse d'image, sauf que c'est adapté à des usages du quotidien.

Au début, ils n'aiment pas trop, parce qu'on vient critiquer un usage qu'ils aiment bien.

Mais en même temps, c'est tellement des codes qui sautent aux yeux qu'ils aiment bien décrypter.

C'est effectivement des activités qui leur plaisent.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Une réaction par rapport aux activités dont il a été question ici, plusieurs exemples que vous avez menés vous-mêmes ou que vous avez dû voir en classe ?

Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-En vous écoutant, je me dis : dans l'avenir, il y a deux défis que je vois par rapport aux pratiques numériques.

Par rapport à l'information, par exemple, c'est qu'on voit parfois que des enfants et des adolescents vont avoir un rapport très affectif à l'information, et même, j'ai envie de dire, identitaire.

Je m'explique.

Si vous allez chercher de l'information à gauche et à droite et que vous avez le sentiment d'avoir trouvé l'information par vous-même, "tout seul", comme on nous a dit parfois dans les entretiens...

"Moi, l'information, je la trouve tout seul."

En fait, ils ne la trouvent pas tout seuls.

Le problème, c'est qu'il y a certains jeunes qui vont investir ça d'un point de vue de l'identité.

Ils vont s'en servir comme une compétence, ils vont dire : "Je sais trouver de l'information, je sais me faire mon idée, je sais me construire ma représentation de certains événements", voire des événements historiques, et ils vont l'investir d'un point de vue de l'identité, comme une compétence, et il peut y avoir parfois un petit souci.

C'est-à-dire que si, pour vous, c'est la seule compétence que vous considérez comme valable et qui est reconnue par d'autres personnes, autour de vous, sur les réseaux sociaux, là, ça pose un problème, parce que quand on veut déconstruire l'information telle que comprise par la personne, en fait, ce n'est pas l'information qu'on déconstruit, c'est le pilier sur lequel repose son identité.

Et ça, c'est un des premiers défis, je pense...

Évidemment, on travaille là-dessus avec les jeunes, mais c'est une difficulté, parce que certains jeunes investissent l'information du point de vue de l'identité et non pas comme de l'information.

Le problème, vous le voyez tout de suite, c'est que finalement, ce n'est plus la vérité objective ou les faits qui comptent.

C'est autre chose, on est sur un autre registre.

Ça, c'est un premier défi.

Le deuxième défi, c'est qu'on est beaucoup sur les pratiques numériques.

Par contre, souvent, l'impensé, c'est la bonne distance.

C'est-à-dire qu'on pense les bonnes pratiques, mais on pense un peu moins la bonne distance, la capacité à se déconnecter.

Et vous l'avez peut-être observé, mais dans les entretiens, on l'a vu...

Je vais peut-être surprendre des auditeurs, mais les ados nous parlent de leur désir de déconnexion.

"Ah bon ?

Les ados veulent vraiment se déconnecter ?"

Mais vous savez ce qu'ils nous racontent ?

"On essaye, on fait des efforts, c'est difficile, mais les adultes remarquent seulement le moment où on se reconnecte."

C'est très intéressant.

Il y a quelque chose aussi à penser là.

Il faut qu'on change nos représentations, arrêter de partir avec l'idée que ce sont des hyperconnectés et qu'ils veulent toujours être connectés.

Dans beaucoup d'exemples, ils montrent qu'ils se connectent par défaut.

Quand ils sont sur les réseaux sociaux pour échanger avec leurs amis, ils nous disent que c'est parce qu'ils n'ont pas le temps de les voir, parce que ça va trop vite, ils sont loin, ils sont mobiles, etc.

Donc il faut faire attention à ça.

C'est les deux défis, je pense, auxquels réfléchir et à prendre en considération pour la suite.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Oui, merci.

C'est très important de rappeler les préjugés et les mythes qu'on peut développer autour de l'adolescence.

Pour clore cet échange et avant de passer aux questions du public, j'aimerais savoir quelles seraient vos recommandations, vos suggestions, pour que les enseignants trouvent des ressources à la fois pédagogiques, pour accompagner les élèves, et à la fois pour s'informer du côté de la recherche, pour comprendre les pratiques des adolescents.

Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-Je pense à deux choses.

La première chose, c'est une initiative qui peut peut-être donner à penser, qui existe au Pays basque.

C'est la maison des adolescents Adoenia qui la mène.

Ça s'appelle RésoLab.

Je trouve que c'est très intéressant comme initiative.

Ils sont en train de créer un faux réseau social qui va servir de base d'expérimentation.

On peut faire des jeux de mise en situation pour vérifier matériellement ce qui se passe.

Et je trouve que c'est une initiative intéressante.

D'ailleurs, ils travaillent avec des écoles du territoire.

Je pense que ça peut donner à penser à des échanges, etc.

Et l'autre, c'est l'Open, l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique, qu'on peut trouver sur Internet et qui condense, qui met beaucoup d'informations, des recherches nouvelles.

Ils commandent eux-mêmes des recherches qui font état de la littérature qui sort.

Donc ça devient une ressource intéressante, d'autant plus que c'est la parentalité numérique, donc que la famille et les parents sont au cœur.

Donc je pense que c'est deux initiatives et ressources qui peuvent être intéressantes pour les auditeurs et auditrices.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Merci.

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-Dans l'Éducation nationale, on a bien sûr le CLEMI, le Centre pour l'éducation aux médias et à l'information.

C'est un centre qui a à la fois des publications nationales...

C'est lui qui organise la semaine de la presse et des médias à l'école, des concours de production d'élèves.

Il y a des fiches pédagogiques aussi qui vont du premier degré jusqu'à la fin du second degré, que ça soit sur les problématiques médias, vraiment travailler le média, ou travailler l'information.

On a vraiment tous les pendants de l'EMI.

On a aussi des directions du numérique éducatif dans chaque académie, les DAN, les DRNE, qui vont produire des ressources, réfléchir sur des problématiques du numérique.

Après, ce que j'aime bien...

Ma partie, c'est plus l'EMI.

Ce que j'aime beaucoup, c'est le podcast "Extra classe", il y a un petit cycle sur l'EMI qui est intéressant.

Et puis, 2022, ça a été une année très riche pour l'EMI dans l'éducation puisqu'elle a été renforcée par la création des référents EMI, dont je fais partie, mais aussi par la publication de deux vade-mecum.

Un vade-mecum de l'EMI, assez généraliste, qui reprend d'ailleurs des fiches du CLEMI et qui donne des directives, des attaches aux programmes scolaires.

C'est assez dense.

Et puis, un vade-mecum des webradios.

Et puis, enfin, je le répète, mais c'est vrai que le professeur documentaliste est une ressource.

Vous avez quand même quelqu'un qui est maître d'œuvre de l'EMI dans l'établissement, qui a reçu une formation.

Il y a un CAPES de documentation avec une formation exigeante en sciences de l'information et de la communication.

C'est un CAPES qui demande un niveau d'expertise élevé.

Et c'est un pédagogue, donc il a une place de choix, et c'est un allié, parce que quelquefois, ça peut être effectivement, on l'a entendu, effrayant ou, en tout cas, intimidant d'aller vers ces espaces-là avec les élèves.

Voilà, ces sujets-là.

"Les questions-réponses" Kimi Do, Réseau Canopé.

-Merci beaucoup pour ces échanges.

Nous allons répondre à quelques questions qui ont été posées sur le chat.

Une question de Sophie : "En lycée général et technologique, l'enseignement de SNT permet de faire réfléchir les élèves sur le rôle des réseaux sociaux.

Qu'en est-il en lycée professionnel ?"

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-Il y a des professeurs documentalistes dans les lycées professionnels, il y a des espaces qui sont possibles.

C'est vrai qu'il n'y a pas d'enseignement du réseau social.

Après, il y a des accroches possibles sur l'information, qui sont plus faciles, notamment dans le chef-d'œuvre.

Mais il faut regarder dans les documents du CLEMI.

Je sais qu'il y a un travail qui a été fait pour faire apparaître dans les programmes de LP des moments propices, notamment dans les enseignements de lettres-histoire.

Il y a des ponts aussi avec certains enseignements professionnels.

Par contre, non, il n'y a pas l'accroche du programme de SNT, qui a été généralisé.

Donc c'est vrai que ça peut paraître plus facile.

L'EMI, c'est un enseignement transversal.

On peut l'intégrer dans un enseignement disciplinaire.

Ce n'est pas du tout impossible.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-C'est vrai que ça pose la question de comment on enseigne tous ces sujets-là ailleurs que dans le lycée général.

Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-Ça pose aussi la question de s'il faut des enseignements spécialisés en fonction des publics, plus largement.

À mon avis, ce serait un terrain glissant, parce qu'on risquerait de penser que certains adolescents, en fonction de leur parcours, auraient des problématiques différentes au regard du numérique, alors que toutes les enquêtes montrent que ce qu'on considère comme problématique est lié à la formation de l'identité.

Partant de là, il faut prendre l'élève pour ce qu'il est d'abord : un adolescent ou une adolescente.

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-Ce que j'ai proposé, comme le média scolaire, il n'y a rien qui s'y oppose en lycée professionnel.

Au contraire.

Et puis, d'ailleurs, l'élève de lycée professionnel, il va en stage, donc il peut aussi sortir pour récupérer de l'information extérieure, de l'actualité extérieure.

Le lien avec le monde professionnel, dans certaines filières, il est propice aussi à développer le monde de l'information, puisqu'il y a aussi des corps professionnels où c'est important de faire une veille, des choses comme ça.

La publication, sur les réseaux sociaux, d'un groupe classe, c'est envisageable aussi en lycée professionnel.

Ce dont je parlais tout à l'heure, l'enseignement des droits, que ça soit lié à la presse ou lié au droit à l'image, à l'identité numérique, c'est des choses qu'il faut de toute façon.

C'est un peu des passages obligés dans la formation du citoyen.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-On a beaucoup parlé des adolescents.

On a une question intéressante.

C'est vrai qu'à partir de l'adolescence, du collège, du lycée, les usages explosent, on va dire, il y a une diversité, une richesse d'usages.

La question qu'on a, c'est : "L'accès au numérique chez les plus petits, en primaire, est-il pertinent ?

Et comment l'aborder avec eux ?"

Vous aviez un peu donné une réponse déjà avec l'activité avec Twitter, le fait de publier.

Mais oui, c'est une question intéressante sur comment on l'aborde chez les plus jeunes.

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-Il y a un peu un fantasme.

En tout cas, il y a une réflexion qui est en place, qui dit : est-ce qu'il faut débrancher les élèves car il y a déjà trop d'écrans à la maison ?

Mais les usages du numérique scolaire ne sont pas les mêmes, et si on débranche les écoles pour revenir au tout papier, il y a aussi toute une part de l'éducation à un numérique qui serait quand même adapté à la scolarité qu'on va commencer très tard.

L'élève, l'enfant, l'humain même, ne fait pas la même chose à chaque fois qu'il est devant un écran.

Il y a un peu une mythologie par rapport à ça.

Quand on regarde une série, ce n'est pas la même chose que quand on fait un texte collaboratif sur un pod collaboratif.

Par contre, effectivement, il faut réfléchir en termes de projets, même à l'école.

Et quand on réfléchit en termes de projets, l'idée, c'est de savoir si c'est le projet du prof ou des élèves.

Il peut y avoir des projets des élèves sur le numérique dès les tout-petits, parce qu'ils ont envie de s'emparer de cet outil-là.

Ça peut aussi venir d'eux, et on peut se mettre en projet avec eux.

Ça ne veut pas dire qu'il ne faut faire que des projets numériques.

Et après, il y a des compétences fondamentales sur le numérique.

Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-On peut mettre en place très rapidement des rituels de déconnexion.

Il y a des familles qui le font déjà de façon plus ou moins consciente, mais c'est quelque chose qui devrait être formalisé de plus en plus.

Un rituel de déconnexion, ça veut dire un temps ou un espace sans écran et qui sert de limite, et qui sert de discussion.

Si, par exemple, on se dit : "On fait un rituel de déconnexion le dimanche après-midi, ou dans telle pièce, il n'y a pas d'écran, il n'y a pas de connexion possible", ça ne veut pas dire qu'on va interdire à chaque fois qu'il y ait une connexion à ces moments, mais ça voudra dire que la personne qui voudra se connecter, par exemple pendant le repas, devra le justifier auprès des autres.

Et ça permet de remettre de la parole dans ce désir de connexion et de déconnexion.

Ça permet aussi de remettre tout le monde à égalité et de se poser la question comme modèle.

Si vous instaurez des rituels de déconnexion...

Attention, un rituel de déconnexion, ce n'est pas couper la Wi-Fi à 22 h ou à 21 h.

Ce n'est pas ça.

C'est s'entendre sur un temps collectif ou un espace collectif où tout le monde joue le jeu.

Si vous faites ça, qu'est-ce qui se passe ?

Il se passe qu'à un moment donné, vous vous questionnez vous-même sur vos propres pratiques et ce que vous êtes comme modèle.

Et ça, je pense qu'on peut l'instaurer très rapidement, très tôt, montrer que la vie n'est pas faite d'une connexion permanente où on doit nous-mêmes faire l'effort individuel, à chaque fois, pour résister aux sollicitations, qu'il y ait des moments où c'est normal de rythmer la vie en temps de connexion et déconnexion.

On peut le mettre très rapidement dans la vie des enfants, parce que ce qui se passe, c'est que ceux qui deviennent hyperconnectés, qui ressentent les malaises de la connexion, ils finissent par s'aménager des moments de déconnexion provisoire et volontaire.

Donc n'attendons pas d'aller jusqu'à l'extrême, aménageons déjà des temps pour montrer aux plus jeunes que c'est possible et que ça fait partie du quotidien.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Une autre question intéressante d'une auditrice qui s'appelle Anna : "Comment gérer le cas des élèves exclus du groupe car n'ayant pas de pratiques numériques personnelles, pas d'accès à des réseaux sociaux ?"

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-"Pas de pratiques numériques personnelles..."

Ils en auront.

Même si c'est utiliser un traitement de texte.

Mais en revanche, qui n'ont pas accès, qui n'ont pas d'outils, ça oui, et on voit de plus en plus de familles où il n'y a pas d'ordinateur.

Pendant le confinement, c'était évident, et ça continue.

Il n'y a pas forcément d'ordinateurs qui sont arrivés depuis, juste un téléphone portable ou une tablette, qui ne sont pas du tout les mêmes outils, les mêmes usages.

Et là, c'est vrai que c'est embêtant.

Et on l'a à plein de niveaux : sur le travail scolaire, aussi sur des outils comme Pronote ou l'ENT, où il faut pouvoir se connecter.

Et quand les devoirs ne sont plus sur un cahier de textes papier, si, dans les familles, il y a un problème de connexion, ça va bloquer aussi au niveau scolaire, même de l'organisation scolaire.

Et là, c'est problématique.

Il y a quand même des choses qui sont en place.

Il y a de plus en plus d'établissements qui prêtent du matériel.

Et c'est une question qui est ouverte.

Aujourd'hui, on n'envisage pas de faire machine arrière.

On ne va pas dire : "C'est fini, on arrête les écrans à l'école."

On va essayer plutôt de pallier le déficit, de fournir du matériel ou de le fournir sur place, d'avoir un accès sur place.

Mais c'est un vrai problème, c'est une vraie fracture, et on ne se rend pas compte à quel point elle est présente dans certains endroits de France.

Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-Une vraie fracture, une vraie question, parce qu'il y en a aussi qui se déconnectent volontairement.

C'est une question qu'on se pose quantitativement et qualitativement.

C'est une question légitime.

On l'entend depuis déjà quelques années.

C'est-à-dire que les enseignants observent déjà des jeunes qui, semble-t-il, mais là, c'est une hypothèse, définissent une partie de leur identité à travers la déconnexion.

Mais là, on manque cruellement de données sur ces questions.

En tout cas, je n'ai pas vu, à ce jour, une enquête sérieuse, quantitative ou qualitative, sur pourquoi des jeunes se déconnectent, mais cette fois-ci, pas par rapport aux parents, ça, on sait déjà pourquoi ils le font, mais par rapport aux autres jeunes.

Ça, c'est encore moins connu.

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-Ils vont arrêter le smartphone, par exemple.

On a des élèves qui arrêtent le smartphone, qui vont prendre un téléphone cellulaire non intelligent.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Vous avez vu ça ?

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-Oui, mais je suis d'accord avec Jocelyn, ça reste à l'état d'anecdote.

On va se le raconter entre nous.

Moi non plus, je n'ai pas vu passer d'étude.

Ce qui est sûr, c'est qu'il ne faut pas croire que les élèves ne fournissent pas de réflexion par rapport à leurs usages.

Ils fournissent du recul, même.

Donc ils sont en route sur réfléchir à leurs usages.

Et à l'Éducation nationale, on a un devoir d'équité envers tous les élèves, donc s'il n'y a pas d'équipement dans une famille, il faut qu'il y ait un palliatif papier.

C'est important.

Et on peut travailler, dans le cadre scolaire, le numérique avec le matériel de l'école, mais s'il n'y a pas d'équipement dans une famille, on ne peut pas exiger qu'un enfant rende une présentation numérique.

Ou alors, il faut lui aménager des temps à l'école en plus.

Je voulais juste le rappeler, que ce devoir d'équité, il est aussi numérique.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Merci pour cette belle conclusion sur le devoir d'équité, et merci à tous les deux pour cet échange très riche.

C'est la fin de ce webinaire sur les pratiques numériques des élèves, en partenariat avec Pix et avec le soutien du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.

N'hésitez pas à suivre l'actualité de CanoTech.

Vous retrouverez l'ensemble des webinaires que nous allons mener dans les prochaines semaines, les prochains mois.

Et on vous souhaite une très bonne fin d'après-midi à toutes et tous.

Crédits

  • Direction de publication : Marie-Caroline Missir
  • Production : Réseau Canopé
  • Partenariat : Pix
  • Licence : CC BY-NC-ND 4.0

Ressource produite avec le soutien du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse

Financé par le Gouvernement de la République française, liberté égalité fraternité, le plan France Relance et l'Union européenne (NextGenerationEU)