Les compétences numériques en classe et hors la classe
Les outils numériques permettent de repenser la répartition entre les activités menées dans la salle de classe, à la maison ou encore au CDI. Comment bien utiliser les potentialités de l'ENT ? Quels outils pour compléter ? Comment accompagner les élèves pour les rendre autonomes ? Rencontre réunissant Franck Amadieu, enseignant chercheur en ergonomie et psychologie cognitive, Anne Lehmans, professeure en sciences de l’information et de la communication, et Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur en didactique des langues et en numérique éducatif, doctorant en sciences de l’éducation.
Transcription
Mélinée Chanard.
-Développer le numérique à l'école constitue un enjeu pour construire la citoyenneté numérique, favoriser une école inclusive, assurer la continuité pédagogique et administrative, pour une école plus résiliente et pour la réussite de chacun.
Chaque professeur doit donc être formé aux compétences et à la culture numériques afin de s'inscrire dans une démarche de développement professionnel et de pouvoir accompagner ses élèves.
Un nouveau référentiel inspiré du DigCompEdu européen a été stabilisé en décembre 2021.
Ce cadre de référence des compétences numériques pour l'éducation, CRCN-E ou CRCN Édu, donne lieu à un dispositif de reconnaissance de ces compétences destiné à rendre compte d'une maîtrise progressive dans la carrière de chaque enseignant.
Il fait l'objet d'une phase pilote qui a débuté en janvier 2022.
En partenariat avec le groupement d'intérêt public Pix, avec le soutien du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, et financé dans le cadre du plan France Relance, Réseau Canopé propose une série de webinaires pour accompagner les enseignants dans ce dispositif.
"Les compétences numériques en classe et hors la classe" "Avec Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès, Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux, Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil" Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce webinaire.
Nous allons aujourd'hui nous intéresser aux compétences numériques en classe et hors la classe.
Pendant l'heure qui vient, nous aborderons, sous différents angles, les compétences numériques des élèves, et par conséquent, la nécessité, pour les enseignants, de les connaître et d'aider les élèves à les appréhender.
Pour cela, nous parlerons du référentiel qui permet de cadrer ces compétences, puis nous questionnerons ce que le numérique induit comme changements en classe et hors la classe, en particulier la transformation de la forme scolaire, les nécessaires changements de posture que cela implique dans votre pratique professionnelle et les outils vers lesquels vous pouvez vous diriger.
Pour nous accompagner dans notre réflexion, nous accueillons trois invités.
Anne Lehmans, bonjour.
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-Bonjour.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Anne Lehmans, vous êtes professeure en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Bordeaux et au laboratoire IMS, le laboratoire de l'Intégration du Matériau au Système.
Vous êtes également chargée de mission innovation et numérique à l'INSPÉ de Bordeaux.
Franck Amadieu, bonjour.
Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès.
-Bonjour.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Vous êtes professeur de psychologie à l'Université Toulouse-Jean Jaurès et directeur du laboratoire Cognition, Langues, Langage et Ergonomie.
Cheikh Ibra Ndiaye, bonjour.
Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-Bonjour.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Vous êtes quant à vous enseignant formateur en didactique des langues et numérique éducatif à l'INSPÉ de l'académie de Créteil.
Vous êtes également doctorant en sciences de l'éducation et professeur certifié en anglais.
"Développer les compétences numériques des élèves" D'abord, nous allons commencer par rappeler l'existence de deux référentiels : le CRCN et le CRCN-E, ces deux référentiels définissant, évidemment, les compétences numériques.
Le CRCN Édu, ou E, s'adresse aux professeurs, et il vise à former aux compétences et à la culture numériques, comme nous l'avons vu dans la vidéo introductive.
Ici, dans ce webinaire, nous allons nous intéresser au CRCN, qui, lui, définit les compétences numériques des élèves.
Franck, pouvez-vous nous en dire plus sur ce référentiel ?
Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès.
-Le CRCN vise un ensemble de compétences extrêmement importantes pour les élèves.
Des compétences pour leur vie d'élèves, mais aussi pour les citoyens de demain qu'ils seront, dans une société de plus en plus numérique.
Ce référentiel de compétences compte cinq grandes catégories de compétences.
Une première qui est centrée sur la question du traitement des informations et des données.
Il s'agit d'accompagner les élèves sur la gestion et le traitement des données à l'aide du numérique.
Une deuxième catégorie concerne plutôt la communication et la collaboration.
Là, il s'agit de travailler le partage et la collaboration avec les élèves.
Nous avons une troisième catégorie qui concerne plutôt la création de contenus, avec de la programmation, par exemple.
On va travailler sur le développement de documents numériques, de documents textuels ou multimédias.
Nous avons une quatrième catégorie, qui concerne la protection et la sécurité, qui présente un enjeu majeur pour les citoyens de demain.
Il s'agit des données personnelles, entre autres, sur le Web, par exemple.
Et nous avons une cinquième catégorie, qui concerne l'environnement numérique.
Il s'agit d'accompagner les élèves dans leur évolution dans ces environnements.
Pour évaluer ces compétences, nous avons différents niveaux de progression.
Nous démarrons avec un niveau novice, bien sûr, et progressivement, avec des niveaux intermédiaires, nous allons jusqu'à un niveau expert, de niveau 8.
Enfin, par rapport à la formation, nous avons une formation en classe principalement pour les cycles 2 et 3, donc jusqu'à la sixième, et ensuite, lorsque nous avons le cycle 4, nous rentrons dans une formation qui peut être en classe ou hors classe, notamment avec la plateforme Pix.
Celle-ci permet aux élèves de s'autoévaluer et d'acquérir une certification à la fin du cycle 4.
Mais nous avons aussi une autre certification à la fin du lycée, avec le cycle terminal.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Cheikh Ibra, je me tourne vers vous.
Dans quelles disciplines le CRCN intervient-il ?
Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-Je vous remercie pour cette question.
En effet, le CRCN intervient dans toutes les disciplines, d'autant plus que le référentiel des compétences du professeur stipule clairement que le professeur doit mobiliser les outils numériques dans une perspective de mettre en place une démarche par projet pour renforcer l'individualisation, l'interaction, la créativité et la collaboration entre les élèves.
Ces compétences peuvent se décliner en deux catégories.
D'une part, nous avons les compétences qu'on peut définir comme transversales, c'est-à-dire qui sont communes à toute la communauté des professeurs et des élèves, et d'autre part, nous avons les compétences plus spécifiques, à des matières, par exemple, et à des disciplines.
C'est là où l'accompagnement du professeur devient plus important.
Parce que par exemple, le professeur de mathématiques devra accompagner ses élèves dans l'utilisation de logiciels spécialisés en mathématiques, tels que GeoGebra, pendant que le professeur de langues notamment le professeur d'anglais, devra aussi accompagner ses élèves dans l'utilisation des outils pour accéder à son enseignement, tels que Captain Kelly.
Donc, nous voyons que l'approche est double et que les professeurs ne sont pas tous égaux face à ces compétences.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Anne, Cheikh Ibra semblait dire que c'est dans toutes les disciplines qu'on doit trouver du numérique.
Êtes-vous d'accord ?
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-Oui, je suis complètement d'accord.
Le numérique concerne l'intégralité du parcours de l'élève, et donc concerne tous les enseignants.
Évidemment, certains enseignants se sentent plus ou moins compétents, plus ou moins à l'aise.
Certains ont développé des formes d'expertise, à travers, par exemple, un goût particulier pour le numérique, et ça ne concerne pas que les disciplines scientifiques.
Je pense par exemple à des enseignants de lettres, comme Marie Soulié, qui travaille sur la classe inversée, ou Jean-Michel Le Bot, qui travaille sur l'utilisation des réseaux sociaux numériques en littérature, qui ont vraiment développé des compétences très particulières autour de leur discipline.
Mais certains enseignants, bien sûr, comme il le disait, le numérique fait partie de leur discipline.
La difficulté, je pense, c'est que c'est comme l'éducation aux médias et à l'information, si ça concerne tous les enseignants, le risque est que chacun ne se sente pas particulièrement concerné.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Merci.
Franck, supposons que je sois enseignant.
Je veux développer les compétences numériques de mes élèves.
Quelles questions je dois me poser au préalable ?
Comment je dois m'y prendre ?
Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès.
-Il me semble qu'une question importante est celle de donner du sens, de l'utilité, pour l'élève, c'est-à-dire prendre conscience que ces compétences vont être importantes pour lui.
Une suggestion serait d'éviter de rentrer dans des enseignements ou des approches très technocentrés, c'est-à-dire apprendre le numérique pour le numérique.
Comme ça a été dit précédemment par Anne, il est important de raccrocher aux disciplines et de faire prendre conscience aux élèves de l'importance de ces compétences de manière transversale, c'est-à-dire qu'elles sont utiles dans leur vie d'élèves, dans leurs activités d'élèves, dans les différentes activités pédagogiques, mais elles sont peut-être aussi utiles pour la vie hors école, bien évidemment.
Donc, il y a un enjeu très fort, aussi, en termes de compétences transversales, en faisant des connexions avec l'éducation aux médias et à l'information, ça a été dit, mais aussi l'éducation à l'esprit critique, qui me paraît être un élément important quand on est face à toutes ces informations grâce au numérique.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Les textes officiels semblent avoir une vision très informatique du numérique.
On parle de sensibilisation au code à l'école primaire, d'un enseignement au codage ou à l'algorithmique au collège.
Anne, comment cela s'explique-t-il ?
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-Effectivement, c'est une tendance qu'on observe depuis une dizaine d'années et qui n'est pas propre à la France, qui est partagée par beaucoup de pays dans le monde, et en particulier en Europe.
Ça pose la question des équilibres entre les différents types de compétences qui doivent être développés autour du numérique.
C'est vrai que les programmes de ces dernières années ont vraiment mis l'accent sur le code, l'apprentissage de l'informatique, des langages informatiques.
On peut considérer, en effet, que c'est essentiel, dans la vie d'aujourd'hui, dans une société qui est dominée par le numérique.
On peut considérer qu'il y a des enjeux économiques et sociaux derrière tout ça : former de futurs professionnels, mais aussi former des élèves qui savent plus ou moins décrypter la boîte noire qui est derrière tous les outils qu'ils utilisent.
C'est aussi une question de capacité à agir dans le monde contemporain, en prenant en compte des enjeux, par exemple, de créativité.
Tout ce qu'on appelle les compétences du XXIe siècle.
Ça, on le voit...
Développer un mix entre les compétences techniques et des compétences plutôt psychosociales, comme la créativité, autour de la robotique éducative, avec des équipes comme celle de Margarida Romero, par exemple, ou encore l'utilisation d'espaces particuliers, comme les fab labs, dans lesquels on va développer des compétences de travail en collaboration.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-D'accord.
Merci.
Cheikh Ibra, comment pourrait-on se sortir de cette vision très informatique du numérique ?
Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-En effet, à mon avis, pour sortir de cette vision technocentrée, le professeur doit proposer des situations où les compétences numériques travaillées et développées par les élèves sont associées à des situations réelles, ou au moins authentiques.
C'est-à-dire, lors d'une séquence qui traite des fake news, il serait intéressant, pour le professeur, de faire utiliser l'outil de la recherche inversée de Google, ou des plateformes comme TinEye, pour qu'ils puissent vérifier l'authenticité d'une photo qui est devenue virale.
Ces types de recherche permettent de remonter l'historique des photos pour voir si la photo a été modifiée et tout ce qui tourne autour de la photo, pour recueillir de l'information et mettre en œuvre son esprit critique pour questionner la source et la véracité de ce qui est en train d'être raconté.
Et d'autre part, aussi, cela permet aux élèves d'avoir une perception claire de l'utilité des compétences qu'ils sont en train d'acquérir et de pouvoir se projeter dans la vraie vie.
On sait notamment, grâce à Gibson, que la perception de l'utilité d'un objet numérique permet un engagement plus fort de la part des utilisateurs.
Ici, on est dans le cas de nos élèves.
Et un modèle comme le modèle de Davis, le modèle TAM, montre aussi que la perception de l'utilité est indispensable si nous voulons obtenir l'adhésion à l'utilisation des outils numériques.
Et d'autre part, il est intéressant, dans les cours qui sont exclusivement réservés aux compétences numériques, que la communauté éducative dans son ensemble soit associée.
Parce que souvent, les compétences sont décontextualisées.
Les élèves ne voient pas à quoi ça va servir.
Et avec cette communauté, des scénarios peuvent être mis en place, des scénarios qui vont parler aux élèves, qui vont donner du contexte au développement de l'outil numérique, au développement des compétences numériques.
Et c'est aussi en relation avec l'autonomie des élèves, parce que de cette manière, les élèves pourront se projeter et savoir comment ils vont l'utiliser quand ils seront seuls face à la réalité de la vraie vie.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Merci.
Vous avez parlé de recherche d'informations, de fake news, et on le sait, ça fait partie, en effet, des compétences numériques à acquérir et qui sont dans le CRCN.
Franck, dans quelle mesure est-ce si important de former nos élèves à ces compétences ?
Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès.
-Ça me paraît essentiel, puisque le numérique nous offre un accès incroyable à une masse d'informations.
Il suffit de regarder le Web aujourd'hui, l'évolution du Web ces dernières années.
On a des nouvelles plateformes, on a des nouveaux formats.
Les vidéos se sont extrêmement développées.
On voit que les usages, aujourd'hui, de nos élèves, sont aussi sur YouTube.
Ça, c'est une réalité.
Le numérique permet de nouveaux usages, de nouvelles activités.
Maintenant, il faut aussi accompagner les élèves sur cette analyse des informations, cette prise en compte critique des éléments qui caractérisent les contenus.
Il ne faut pas être naïf face à certains contenus.
Et je pense que c'est essentiel aussi d'accompagner les élèves sur l'éducation aux médias, encore une fois, à l'information, l'éducation à l'esprit critique.
Nous, nous avons par exemple un projet de recherche et de déploiement d'une plateforme, justement, d'éducation à l'esprit critique à partir de vidéos.
On expose des vidéos à des élèves, et on essaye de mettre en place des scénarios pédagogiques, avec des outils numériques qui les incitent à être davantage critiques sur les contenus.
Il s'agit du projet Poussec, que nous avons développé.
Il me semble qu'il faut que ces choses se développent, justement, en articulant compétences numériques et compétences, aussi, par rapport à l'esprit critique et à l'information.
"Articuler le travail en classe et hors classe avec le numérique" Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Merci à tous les trois pour ce rapide tour autour du CRCN, de ce référentiel, et des compétences, évidemment.
On l'a compris, ces compétences sont travaillées en classe, évidemment, mais elles le sont aussi hors la classe.
En classe, hors classe...
À quoi cela correspond-il, Anne ?
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-En effet, le numérique, finalement, installe une forme de porosité entre les différents espaces, et c'est un vrai problème.
Porosité entre espaces scolaire, non scolaire, public, privé...
à travers les réseaux sociaux numériques, l'usage du Smartphone, qui est complètement généralisé, par les élèves, mais aussi par les enseignants et par les parents, et la pervasivité des technologies qui nous entourent, dans notre vie, en permanence.
Alors...
Cette question des espaces est complexe.
Une façon de l'aborder, du point de vue de l'élève, est peut-être celle de réfléchir à l'environnement personnel d'apprentissage ou l'environnement personnel de travail : se demander, du point de vue des enseignants, comment chaque élève travaille, comment il est installé chez lui, dans quelles conditions, de quels outils il dispose, quelles sont ses ressources, de quel accompagnement il peut bénéficier, quelles sont les affiliations...
Est-ce que le groupe de pairs, par exemple, peut constituer une aide ?
Ça, c'est une vraie question : comment chaque élève travaille, dans quel type d'espace, et quelle relation a cet espace avec l'école.
Une autre question, à mon avis, au sujet des espaces, c'est celle de la plateformisation des apprentissages, c'est-à-dire l'externalisation des apprentissages et une tendance que nous avons aujourd'hui à vouloir utiliser absolument des plateformes, ce qui peut finalement aboutir à une forme d'industrialisation de l'éducation, de normalisation, voire d'uniformisation.
Je crois que ça, c'est une tendance qui peut être intéressante, d'un côté, mais qui peut poser des problèmes, donc à laquelle, en tant qu'enseignants, il nous faut absolument réfléchir.
Enfin, la question des espaces.
On l'a vu, pendant le confinement, de façon extrêmement criante : la question des espaces pose le problème de l'inégalité entre les élèves, des inégalités sociales et de ce que l'école doit faire face à ça.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Et est-ce qu'on a des solutions ?
Comment pourrait-on les pallier ?
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-Pallier les inégalités entre élèves, entre familles, c'est évidemment un des objectifs premiers de l'école.
Ce que l'école peut proposer, a minima, c'est un cadre propice aux apprentissages quelles que soient les conditions sociales des familles, mais aussi accompagner les élèves pour identifier des espaces, à l'extérieur de l'école, qui peuvent les aider, et je pense par exemple à des acteurs relais comme les médiathèques, à côté du CDI, bien sûr, les associations d'éducation populaire, les espaces publics numériques, les lieux culturels dans toute leur diversité...
Toutes ces alternatives à l'école qui peuvent...
être un soutien aux familles dans les usages numériques des élèves.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-On parle donc d'une multitude d'espaces.
Cheikh Ibra, comment l'enseignant peut-il cadrer ces espaces ?
Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-On parle effectivement ici d'"espaces", au pluriel.
Si nous prenons, par exemple, la classification de Hall, il nous apprend que nous avons un espace intime, un espace personnel, un espace social et un espace public.
À mon sens, il ne s'agit pas tant de cadrer ces espaces, mais il s'agit plutôt de respecter l'espace intime et l'espace personnel, d'investir et de dynamiser l'espace personnel et social, et enfin de créer du lien dans l'espace public.
Concrètement, avant l'avènement du numérique, quand l'enseignant demandait à ses groupes d'élèves de travailler en groupes, en petits groupes, ils étaient obligés d'avoir une certaine proximité qui n'était pas toujours désirée.
De ce fait, ça pouvait occasionner un inconfort qui pouvait avoir une influence sur leur efficacité et leur capacité à collaborer pour le travail qui est demandé.
Aujourd'hui, avec le numérique, il existe des outils, des applications, des plateformes, qui permettent aux élèves de travailler en groupe sans pour autant avoir une proximité excessive.
Ils peuvent être à une distance sociale, ce que Hall appelle "l'espace de négociation".
Ils peuvent s'écouter, collaborer efficacement, sans pour autant qu'il y ait une violation d'espace intime ou d'espace personnel.
De la même manière, avant le numérique, la plupart des enseignants étaient cantonnés devant le tableau.
Aujourd'hui, on peut décloisonner cet espace-là, qui était de l'espace public parce que l'enseignant était très loin de ses élèves.
Aujourd'hui, il peut tout à fait, avec un outil nomade, s'approcher des élèves, tout en ayant la possibilité de projeter du contenu sur le tableau, tout en ayant, aussi, la possibilité d'avoir une interaction à une distance plus ou moins proche de ses élèves.
Et donc on a ici un espace formel, qui est l'espace classe.
C'est aussi le cas de la maison.
C'est aussi le cas du CDI.
Mais entre ces espaces, on a ce qu'on appelle les espaces interstitiels.
C'est des espaces où les enfants ne sont pas sous la responsabilité directe d'un adulte.
Ils se retrouvent seuls ou entre élèves.
C'est le cas des parcs, c'est le cas des transports, c'est le cas des couloirs.
Ces espaces sont bien évidemment plus difficiles à investir et sont plus complexes.
Néanmoins, aujourd'hui, on assiste à une volonté d'investir ces espaces, notamment avec des concepts nés avec le numérique, comme le mobile learning, le fast learning, et tout ce mouvement a donné naissance à un acronyme, d'ailleurs, qui est "AWATADAC", qui veut dire : "Any Where, Any Time, Any Device, Any Content".
En français, cela veut dire qu'on peut accéder à tout type de contenu avec n'importe quel terminal, n'importe où et n'importe quand.
Mais cela pose d'autres questions, c'est-à-dire : "Où mettre la limite de ce qu'on va investir du temps et du lieu de nos élèves ?"
et : "Où on leur laisse cet espace de liberté ?"
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-J'entends bien qu'il vaut mieux investir des espaces plutôt que de les cadrer, comme j'avais proposé dans ma question.
Et de fait, je me dis : est-ce qu'il n'y a pas un danger d'avoir du numérique un peu partout ?
Puisque vous l'avez dit, jusque dans les modes de transport, en mobilité...
Anne, qu'est-ce que vous en pensez ?
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-Effectivement, avec cette porosité dont nous parlons depuis tout à l'heure, porosité des espaces et des temps, il y a ce risque, finalement, que l'espace intime arrive à l'école, par exemple à travers le jeu, les téléphones, mais également qu'on ait la tentation de faire travailler les élèves à tout moment : dans les transports, dans la chambre le soir, y compris dans le lit.
Donc, finalement, l'école est assez tiraillée entre des normes et des usages qui sont contradictoires.
Il faut bien sûr travailler, mais il faut aussi que les élèves puissent respirer, puissent prendre leur temps de liberté.
Il faut respecter l'espace intime, comme le disait Cheikh Ibra, mais également que le travail scolaire trouve sa place.
Alors...
En même temps, comment faire, comment éduquer au numérique sans s'appuyer sur les pratiques réelles et sur les usages réels des adolescents et des enfants ?
Comment les éduquer sans comprendre leurs représentations ?
Ça me semble difficile.
Quelles modalités de travail proposer pour qu'on puisse les guider vers des formes d'autonomie ?
L'équilibre est délicat entre la réflexion, le dialogue et les contraintes.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Merci.
On a souvent tendance à avoir une vision du numérique très "outil" et à être très technocentrés, on en a parlé tout à l'heure, et à oublier, de fait, de travailler sur les compétences d'apprentissage et d'utilisation.
Franck, comment pourrait-on remédier à cela ?
Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès.
-Il me semble qu'il y a un enjeu : s'appuyer, justement, sur les usages et les pratiques des élèves dans le numérique, même s'il est très variable, avec différents outils.
Mais que ce soit leur pratique des réseaux sociaux, des jeux vidéo, des façons de communiquer entre eux, je pense que déjà, un premier point serait de s'appuyer sur cette réalité-là pour essayer de comprendre leurs représentations, leurs pratiques, pour les amener vers des compétences qui soient utiles aussi pour eux.
L'idée, aussi, c'est d'amener ces élèves, pourtant, qui ont grandi, pour beaucoup d'entre eux, dans des environnements très numérisés...
Pour autant, ils ne sont pas forcément compétents pour apprendre avec du numérique.
Ce n'est pas parce que je sais faire fonctionner un outil que je sais apprendre avec.
C'est quelque chose qu'il faut bien dissocier.
Je pense que l'école a un enjeu, là-dessus, auquel elle peut répondre, c'est vraiment amener les élèves à transférer les compétences de l'école dans leurs pratiques à la maison, dans leurs usages réels.
Ça, c'est un enjeu important, de manière à ce que les compétences qu'on apprend à l'école ne restent pas cloisonnées à la classe.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Cheikh Ibra, comment l'enseignant doit-il procéder pour articuler ces différents espaces-temps ?
Comment il peut, aussi, aider l'élève à s'y retrouver dans tous ces espaces-temps ?
Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-Là, vous parlez de deux notions, qui sont l'espace et le temps, et vous le dites, à juste titre, on parle d'espaces-temps.
Donc, il y a deux concepts qui vont se décliner en activités synchrone et asynchrone, en présentiel et en distanciel.
Et dans cette dualité, le professeur va investir ces espaces et ces temps à travers une approche multimodale, une scénarisation multimodale.
C'est-à-dire qu'il va proposer des supports différents, des modalités de travail différentes, des contenus différents et une organisation du travail différente.
Ce qu'on doit sous-entendre par là, c'est que le lieu et l'espace et la durée de consultation des contenus par les élèves dépendront du format que le professeur leur propose et du type de contenu.
Par exemple, si le professeur propose un document qui n'est pas "mobile responsive", ça veut dire que les élèves ne pourront en aucun cas consulter cette ressource sur leur téléphone ou sur leur tablette, donc ils seront obligés de le faire sur un ordinateur.
Et par conséquent, ils le feront sûrement à la maison, s'ils ont un ordinateur à la maison, au CDI, ou à la médiathèque.
De cette manière, chaque décision que le professeur fera sur le support aura une conséquence sur la durée.
Par exemple, une vidéo d'une heure, les élèves n'auront jamais le temps de regarder ça dans les transports, alors que si c'est une vidéo "mobile responsive" qui dure une minute, ils peuvent la regarder entre deux cours, ils peuvent la regarder lors d'un trajet de métro, et c'est justement là où les élèves auront besoin de cet accompagnement.
Comment ça pourrait se passer, concrètement ?
Le professeur pourrait, à chaque fois qu'il leur proposerait un support, leur donner des conseils sur le lieu le plus propice pour consulter le contenu, leur donner des indications sur la durée, leur donner des indications sur les terminaux où ils peuvent consulter cette ressource.
Ça peut prendre, tout simplement, la forme d'un pictogramme.
À chaque fois qu'il mettrait une ressource en ligne ou sur une feuille, il leur mettrait un pictogramme qui serait utilisé à chaque fois, de sorte que ça ferait partie des pratiques que les élèves auront acquises tout au long de leur scolarité.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Merci.
Vous êtes plusieurs à avoir mentionné le CDI, et je vous propose de regarder une vidéo où une équipe d'enseignants va justement accompagner les élèves, et travailler, avec les élèves, des compétences numériques, et on en parle après.
"La classe innovante 64" Fabienne Coudin-Bidouze, professeure de lettres.
-Bien, on va faire les trois groupes d'atelier.
Le premier groupe part pour le book trailer avec Mme Gil au CDI.
Le deuxième groupe va s'installer dans la salle annexe pour le cercle de lecture.
Le troisième groupe, vous allez travailler l'oral.
Aurélie Jovy-Chabrol, professeure de SVT.
-Le concept de cette classe innovante est une équipe pédagogique mobilisée autour de la pédagogie active.
Des élèves qui travaillent en groupe, un support sur le numérique et un travail interdisciplinaire, avec des enseignants qui travaillent ensemble.
"Atelier : travail de l'oral" Une élève, puis Yasmina, élève.
-T'as une maison ou un appartement ?
-Un appartement.
Une élève, puis Yasmina, élève.
-Il est grand ou petit ?
-Grand.
Une élève, puis Yasmina, élève.
-T'as un jardin ?
-Une terrasse.
Une élève.
-T'y es depuis combien de temps ?
Yasmina, élève.
-Depuis 13 ans.
Depuis toujours.
Une élève, puis Yasmina, élève.
-Depuis toujours ?
-Ouais.
Le professeur.
-Maintenant, Yasmina, tu prends le casque, et tu vas tout...
Yasmina, élève, puis le professeur.
-Réécrire ?
-Réécrire, retranscrire.
Yasmina, élève, puis le professeur.
-Ouais.
-Avec les hésitations.
Fabienne Coudin-Bidouze, professeure de lettres.
-Chaque atelier a un objectif particulier.
Le travail de l'oral, c'est pour qu'ils prennent conscience eux-mêmes des tics de langage qu'ils ont, que ces tics ne sont pas rédhibitoires dans la vie quotidienne, mais qu'ils doivent prendre conscience de ceux à qui ils s'adressent.
Et quand on fait une leçon de langue, de niveau de langue, langage familier, langage courant, langage soutenu, c'est quelque chose de très professoral qui n'est pas intégré.
"Atelier : bandes-annonces de livres" Tom, élève de 4e5.
-D'abord, on lit un livre tous ensemble, et puis après, on a chacun un rôle.
Certains doivent trouver des liens avec la vie de tous les jours, d'autres doivent chercher des liens historiques.
Il y en a un qui doit illustrer le livre.
Et on doit, après, en parler tous ensemble pendant 25 minutes pour parler du livre, et après, on doit faire une vidéo qui parle du livre et qui résume tout ce qu'on a fait en salle de lecture.
Martine Gil, professeure documentaliste.
-Est-ce que tu veux remettre la même image sur ta deuxième diapo ?
Un élève, puis Martine Gil, professeure documentaliste.
-Ouais.
-Regarde, ça sera plus facile...
Je crois qu'ils ont été un peu bousculés au départ, parce que ça changeait complètement leurs habitudes scolaires.
Ils ont été demandeurs de travailler de manière un peu plus individuelle.
À chaque fois, je crois qu'on essaye de réadapter cette position, et à chaque fois, on essaye de s'adapter à leur attente.
Et peut-être que maintenant, ils souhaitent un peu plus travailler en groupe parce qu'ils se sont habitués.
Ça a bougé toutes leurs marques.
"Atelier : cercle de lecture" Une élève.
-"Sam accusait le coup de sa nuit quasi blanche."
Fabienne Coudin-Bidouze, professeure de lettres.
-Chaque atelier a un objectif particulier.
Le cercle de lecture, la question était de comment amener les élèves à lire sans qu'ils aient l'impression d'avoir une fiche de lecture, puisque le postulat de "Je te donne un livre pour faire une fiche de lecture" fait que de toute façon, le livre ne va pas être apprécié.
On lit pour échanger avec les autres.
On a le droit de ne pas finir le livre, de ne pas aimer le livre, puisque c'est avec les copains qu'on va en parler et qu'on va échanger dessus.
Une élève.
-Qu'est-ce que vous avez pensé des personnages ?
Marina ?
Fabienne Coudin-Bidouze, professeure de lettres.
-S'ils décident de ne pas lire le livre, à la fin, ils le lisent forcément, parce qu'ils se trouvent en marge des copains.
Ils se contraignent un peu à donner leur avis, et ils ne l'arrêtent que si vraiment, ils ne le trouvent pas bien.
Mais ils ont une raison à donner pour ne pas avoir lu le livre autrement que "j'ai oublié" ou "j'avais pas envie".
On peut toujours faire sans numérique, mais à plein de moments, le numérique apporte des possibilités que l'on n'aurait pas pu avoir si on n'avait pas le numérique.
Par exemple, rendre compte d'un livre en faisant un book trailer, si on n'a pas le numérique, on ne peut pas.
Et je crois qu'on avait un peu épuisé les possibilités de comptes-rendus de lecture avant l'arrivée du numérique : la fiche, l'interview...
Là, ça a permis de donner une autre dimension.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Ce qui me semble intéressant, dans les ateliers qu'on vient de voir, c'est que le numérique, finalement, n'est pas ultra-présent.
Il est plutôt, même, au second plan, voire en support.
Franck, qu'est-ce que vous en pensez ?
Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès.
-Je pense que c'est une parfaite illustration des choses pertinentes qu'on peut faire avec le numérique.
Ce que j'aime beaucoup dans ces exemples de pédagogie, c'est que le numérique est juste un outil, un support, pour atteindre des objectifs pédagogiques.
On voit bien que ce qui est mis en avant par les enseignants, c'est une pédagogie.
Par exemple, une pédagogie active.
Et le numérique vient offrir de nouvelles perspectives et activités.
Ça a été très bien dit par l'enseignante.
Donc on va s'appuyer sur le numérique pour pouvoir réaliser ces nouvelles activités.
Ce que je trouve intéressant, c'est qu'en plus, les élèves, dans ces activités-là, ont couvert différents types de compétences, qu'on a mentionnées, du CRCN.
On a de la recherche d'informations, on a de la collaboration, on a la production de documents numériques...
Déjà, ces activités-là couvrent pas mal de compétences numériques.
Ce que je trouverais vraiment intéressant, peut-être, de travailler avec les élèves, c'est aussi de les amener à prendre conscience des nouvelles compétences numériques qu'ils ont acquises, parce que s'ils sont centrés sur l'activité, par exemple, de lettres, d'analyse d'ouvrages, d'analyse d'entretiens, ils sont moins centrés aussi sur la prise de conscience des nouvelles compétences qu'ils sont en train d'acquérir du point de vue du numérique.
Donc je trouverais intéressant aussi que les enseignants, ensuite, débriefent, travaillent avec eux ces nouvelles compétences.
"Regardez, maintenant, ce que vous savez faire avec du numérique, que vous ne saviez pas faire avant et qui vous sert pour des activités, pédagogiques ou autres."
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Anne, je me tourne vers vous, maintenant.
On a l'impression qu'il y a un rapport au temps différent à cause de cette potentielle présence du numérique un peu tout le temps et partout, comme on l'a vu tout à l'heure.
Est-ce que je me trompe, d'abord ?
Et puis, qu'est-ce que ça impliquerait si j'avais raison ?
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-Vous avez raison, bien sûr.
On voit bien dans la vidéo aussi que le numérique ne fait pas particulièrement gagner de temps.
Ce n'est même jamais un gain de temps, mais c'est toujours une réorganisation nécessaire du temps de travail, du temps de l'enseignement.
Le numérique, finalement, il me semble, introduit un rapport distendu au temps.
Et ça peut être compliqué, pour les élèves, de gérer ce rapport au temps, parce qu'il ne faut pas supposer, de leur part, une autonomie totale, ni supposer une ignorance totale, y compris du problème que peuvent poser les outils numériques.
Je pense au problème par rapport à l'attention, par rapport au sommeil.
Quand on parle à des adolescents, la plupart du temps, ils sont très conscients que le fait de jouer le soir, avant de se coucher, va les empêcher de s'endormir.
Ils ne sont pas totalement ignorants.
En revanche, il me semble qu'ils ont vraiment besoin d'être accompagnés, et aussi que les enseignants se projettent, comme je le disais tout à l'heure, dans leurs activités réelles.
C'est-à-dire qu'il ne faut pas supposer que les élèves ont tous, à la maison, un ordinateur.
Beaucoup n'en ont pas.
Il ne faut pas supposer qu'ils savent tous utiliser un traitement de texte ou un fichier Excel.
Il ne faut pas supposer qu'ils sont tous capables d'aller chercher un devoir sur l'ENT.
Il faut vraiment se projeter, me semble-t-il, sur toutes ces difficultés possibles, sur la réorganisation du temps que nécessitent ces outils numériques, essayer de leur apprendre à gérer leur temps, mais sans leur donner trop de travail non plus.
Je pense par exemple aux exposés à la maison.
Ce n'est pas parce qu'on suppose qu'ils vont pouvoir aller chercher des informations seuls à la maison qu'ils vont véritablement le faire avec efficacité.
Donc, l'accompagnement reste essentiel.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Vous avez parlé d'autonomie, et je me tourne vers Franck.
Je me demande comment le numérique peut aider, éventuellement, les élèves à développer leur autonomie.
Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès.
-Pour aller dans le sens de ce qui vient d'être dit, il ne faut pas tomber dans le piège qu'en introduisant du numérique, on va rendre autonomes nos élèves.
Comme ça a été dit par Anne, les élèves ont besoin d'être accompagnés dans les utilisations, dans les usages du numérique, notamment pour des usages adaptés par rapport aux objectifs qu'on se donne.
Ça, c'est un premier point.
L'élève seul face au numérique, ce n'est pas la solution.
En revanche, quand on dispose d'outils pédagogiques intéressants, qui sont bien conçus, c'est-à-dire qu'on a des outils qui vont donner du feed-back aux élèves, des outils qui vont donner des incitations aux élèves, c'est-à-dire qu'on a des petits messages qui vont accompagner l'activité, si ces outils sont bien conçus et que l'enseignant a les moyens, aussi, de les paramétrer et de les utiliser en fonction de sa pédagogie, de ses pratiques pédagogiques, alors ces outils deviennent très intéressants pour accompagner une certaine autonomie de l'élève, par exemple sur certaines activités.
On va avoir des feed-back proposés spontanément par l'outil, qui enregistre l'activité de l'élève, par exemple, et en fonction de l'analyse qu'il fait de l'activité de l'élève, va lui proposer, par exemple, de revoir sa façon de faire, va lui donner un peu de sens sur ce qu'il vient de produire, va lui suggérer de nouveaux exercices pour parfaire certaines choses.
Donc, c'est l'outil, aussi, qui accompagne l'autonomie, mais il faut qu'il soit très, très bien conçu, et, je dirais, validé par l'enseignant.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Franck, je continue avec vous.
J'ai l'impression qu'il y a une question, finalement, de questionnement de l'enseignant, et dans vos recherches, vous avez écrit à plusieurs reprises qu'il est plutôt important de poser la question non pas de l'utilité du numérique pour l'élève, mais plutôt de l'utilité pour l'enseignant dans sa pratique pédagogique.
Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?
Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès.
-Tout à fait.
On mène des recherches sur ces questions de ce qu'on appelle l'acceptabilité, c'est-à-dire quelle est la perception que les personnes ont de certains outils numériques et est-ce qu'ils sont disposés ou pas à utiliser ces outils numériques pour leur apprentissage, quand on parle des élèves, ou pour leur pratique professionnelle, quand on parle des enseignants ?
En ce qui concerne les enseignants, il y a beaucoup de travaux là-dessus, on sait que ce qui est nécessaire pour un bon usage du numérique par les enseignants, c'est déjà d'avoir des ressources, des moyens, bien évidemment, d'être accompagnés, aussi, pour pouvoir utiliser ces outils, mais également d'avoir, aussi, des communautés de pratique, c'est-à-dire pouvoir partager avec d'autres enseignants des bonnes méthodes, des choses qui fonctionnent avec les élèves, d'autres qui fonctionnent moins bien.
On sait que ça existe, mais on s'est surtout rendu compte que les enseignants avaient besoin d'avoir une perception positive de l'outil au sens utile de l'outil.
Pas forcément pour l'élève, en premier lieu.
L'enseignant, ce qui va le préoccuper d'abord, c'est : est-ce que l'outil va rendre service à sa pratique d'enseignant ?
Est-ce que ça va l'aider à organiser la classe, à gérer la classe, à mettre en place de nouvelles activités qu'on a évoquées, par exemple, dans le reportage ?
Là, ça devient un facteur très important.
Si l'enseignant n'est pas convaincu, déjà, de cette utilité-là, c'est extrêmement difficile pour qu'il s'engage dans l'utilisation de l'outil.
Même s'il pense que ça peut être intéressant pour l'élève, il faut d'abord s'assurer que ça serve la pratique pédagogique, et si ça sert la pratique pédagogique, il y a de fortes chances pour que ça serve l'élève.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Cheikh Ibra, l'enseignant, par rapport à ces outils numériques...
Franck l'a dit, il y en a beaucoup, il y a beaucoup de ressources...
Vers lesquels il doit aller et pourquoi ?
Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-Oui...
L'utilisation du numérique se matérialise à travers les outils, donc ils deviennent incontournables.
Cependant, la question du choix soulève beaucoup d'interrogations.
Par exemple, l'enseignant va faire face à des questions économiques, à des questions juridiques et à des questions sociotechniques.
C'est-à-dire qu'il va s'interroger sur...
à quel point cet outil respecte les RGPD.
Il va aussi s'interroger sur sa capacité propre, lui, à utiliser cet outil, c'est-à-dire l'ergonomie et l'accessibilité de l'outil.
Il va aussi s'interroger sur le coût de l'outil.
Est-ce que c'est un outil qui est disponible gratuitement ?
Est-ce qu'il faut payer ?
Est-ce qu'il faut accepter de la publicité ?
Toutes ces questions sont des questions qu'on va se poser avant même d'aller plus loin dans notre pratique pédagogique.
Il y a aussi, aujourd'hui, une question que je trouve, personnellement, très intéressante, c'est le coût énergétique des outils.
Donc...
Et quand ces questions sont résolues, l'enseignant va se poser la question de savoir pour quels besoins et pour quels objectifs il va utiliser cet outil.
Ça peut être pour de la gestion de classe, ça peut être pour créer un lien avec les familles, ça peut être pour de l'évaluation, ça peut être pour de l'apprentissage, de la mémorisation et d'autres activités pédagogiques.
Par exemple, concrètement, pour la gestion de classe, il existe un outil qui est Classroom Screen, qui permet de gérer sa classe et d'avoir des pratiques répétitives qu'on met en place pour toutes nos classes, chaque classe, en prenant en compte ses caractéristiques.
Cela permet de donner de l'information à nos élèves sur les modalités de travail, s'ils doivent travailler en binôme, s'ils doivent travailler en individuel.
Il y a un timer qui leur permet de pouvoir suivre l'évolution du temps et de gérer leur temps.
On peut avoir un outil de désignation de groupes aléatoires ou de personnes à interroger de manière aléatoire.
Il y a un certain nombre d'outils qui peuvent être une aide pour l'enseignant dans la gestion de sa classe.
On peut aussi avoir des outils pour réactualiser du vocabulaire, comme des outils comme Socrative, des outils comme Kahoot!, qui permettent instantanément à vos élèves de réactualiser le vocabulaire du cours dernier pour pouvoir attaquer de nouveaux contenus.
On peut aussi avoir des outils qui nous permettent de travailler, par exemple, sur les deep fakes, qui est un concept très présent dans l'éducation aux médias.
Et par exemple, un outil comme SpeakPic permet aux élèves de se rendre compte à quel point, aujourd'hui, il est facile de détourner une information et de faire dire à des personnes des choses qu'elles n'ont pas dites.
Et tout cela, à mon sens, prend sens quand ils servent l'autonomie de l'élève.
Je l'entends au sens où le dit Meirieu, c'est-à-dire qu'on n'apprend jamais seul et qu'on ne peut pas apprendre pour un autre.
Cela pose la nécessité d'accompagnement.
L'enseignant, aussi savant qu'il puisse être, ne pourra jamais apprendre pour ses élèves, et ses élèves ne pourront jamais apprendre seuls, et donc la condition d'accompagner est indispensable.
Et aujourd'hui, c'est la question centrale, je pense, du développement des compétences numériques chez les élèves.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Vous avez parlé d'accompagnement de l'enseignant.
Je me tourne vers Anne.
Est-ce que vous auriez des recommandations spécifiques, justement, dans ce cadre précis de l'utilisation du numérique ?
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-Il me semble que l'essentiel, c'est de partir des besoins réels, autant des élèves que des enseignants.
Il ne faut pas que le numérique apporte des contraintes supplémentaires et des contraintes techniques.
Il ne faut pas que ce soit vécu comme un obstacle pratiquement incontournable.
Et il ne faut pas non plus que le numérique détourne l'attention de l'essentiel, qui est apprendre, pour les élèves, et enseigner, pour les enseignants.
Donc...
identifier l'essentiel.
L'essentiel qui part des pratiques réelles des uns et des autres, et notamment des pratiques réelles des élèves, des pratiques de recherche d'informations, de communication, d'organisation de son travail.
Et je partage ce qu'ont dit mes camarades sur la nécessité de l'accompagnement.
Par exemple, autour de Pix, dont on parle, depuis le début, de temps en temps, mettre des élèves devant la plateforme Pix, devant un ordinateur, c'est pratiquement inutile.
Ils ont vraiment besoin d'être accompagnés.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Nous avons parlé des enseignants, nous avons parlé des élèves, mais il y a évidemment un autre acteur important dans l'éducation.
Il s'agit évidemment des familles.
Cheikh Ibra, selon vous, les familles doivent être associées au développement des compétences numériques des élèves ou des enfants.
Vous pouvez nous expliquer pourquoi et comment ?
Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-Effectivement, les familles...
On fait face à un double enjeu, c'est-à-dire le matériel...
On peut par exemple s'interroger, en collaboration avec des familles, pour avoir une cartographie des outils disponibles dans les espaces d'apprentissage des élèves à la maison.
Et ça, on ne peut pas l'avoir si on n'échange pas avec les familles.
Il y a aussi l'enjeu du savoir-faire des familles, des compétences, c'est-à-dire faire aussi un inventaire de ce que les familles elles-mêmes sont capables de faire.
Et ça, on ne peut pas le faire s'il n'y a pas de lien entre la famille et l'école.
Il faut qu'on s'inscrive, obligatoirement, dans une démarche de coéducation, en ayant des temps de concertation qui peuvent aboutir à des protocoles qui soient conçus, à des stratégies d'encadrement et d'accompagnement qui soient cohérentes entre l'école et l'élève.
Parce que pour les élèves, la cohérence des discours des adultes est importante.
Si, à la maison, les parents laissent faire des choses qu'on interdit à l'école, c'est perturbant pour l'élève.
Et si, à la maison aussi, on fait faire des choses qu'on interdit à l'école, ou qui ne sont pas cohérentes, en tout cas, à l'école, ça ne prend pas sens.
Après, cela passe au-delà des familles, parce qu'on s'inscrit dans des territoires apprenants.
C'est-à-dire que les familles, forcément, ce n'est pas à l'école qu'elles seront formées.
Il y a d'autres endroits qui ont été mentionnés plus tôt dans notre conversation, et par exemple, les familles peuvent travailler avec des médiathèques, parce qu'il y a des endroits où les familles, les adultes, ont aussi accès à cet accompagnement.
C'est une dynamique de coéducation qui peut permettre cela.
Et pourquoi c'est important ?
Cela permet de créer du lien entre les espaces classe, hors classe, maison.
Je donne un exemple.
En terminale, des élèves qui doivent préparer leur grand oral ou leur présentation finale, ils peuvent tout à fait, en classe, avec le professeur, faire une recherche sur Internet pour identifier des ressources, des ouvrages qui pourront servir à leur travail.
Et au CDI, ils vont apprendre à mettre leurs ressources dans Zotero.
Et à la maison, ils vont s'entraîner, être filmés par le parent, et ensuite, faire une analyse sur les compétences, on va dire "oratoires", des enfants.
Ici, on a une continuité qui permet à l'élève de mettre en œuvre et de développer son sentiment d'efficacité.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Ce que j'entends, là, dans vos propos, c'est que les élèves, les enfants, acquièrent aussi des compétences hors classe, hors temps scolaire.
Comment l'enseignant pourrait-il les identifier et en tirer profit ?
Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-Ici, on est sur les pratiques des élèves.
Par exemple, aujourd'hui, on sait que nos élèves sont très axés jeux vidéo.
Ils sont très axés réalité virtuelle.
Nous, on peut s'appuyer sur ces activités qu'ils font dans leur vie de tous les jours.
Et par exemple, sur un outil comme Genially, on peut faire un escape game qui reprend les codes du jeu auxquels ils sont habitués.
On peut aussi, en réalité virtuelle, utiliser des outils comme Halo AR, qui permet d'habiter l'espace, d'enrichir l'espace de contenus.
Et dans cette relation ludique aux outils numériques, qui reprend des codes avec lesquels ils sont familiers, nous pouvons utiliser cette stratégie pour avoir leur adhésion.
En plus, il y a des compétences qu'on ne peut pas suspecter, nous, personnellement, et que les élèves ont pu développer.
On peut tout à fait leur demander leur avis à travers un questionnaire.
Cela leur permettrait, eux, de décider quelles compétences ils voudraient travailler.
Et c'est très valorisant.
Encore une fois, ça va développer leur sentiment d'efficacité, parce que là, c'est quelque chose qu'ils savent faire, qu'ils maîtrisent complètement, qu'ils vont partager avec les autres.
Et je trouve ça intéressant, parce que cela réintroduit de l'humain dans ce rapport au numérique.
"Là, je fais quelque chose que je vais partager pour les autres.
Je ne le fais pas que pour moi, mais je partage avec ma communauté."
Et...
en plus de cela, on a des notions comme le BYOD, qui veut dire "Bring your own device" : on peut aussi tout à fait, parfois, autoriser les élèves à avoir leurs outils personnels, parce que cela les rassure.
C'est des environnements, c'est des interfaces auxquels ils sont habitués et qu'ils savent manipuler.
C'est une manière aussi, pour eux, de montrer qu'ils ont des compétences, et cela permet aussi de les mettre en situation de réussite, ce qui ne serait pas le cas face à un outil complètement nouveau, dont ils doivent découvrir les facilités et les difficultés.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Merci beaucoup.
Je vais terminer par une question pour vous trois, et je commence par la poser à Franck : en quoi, selon vous, les compétences numériques contribuent-elles à faire des élèves d'aujourd'hui les citoyens de demain ?
Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès.
-Je pense que dans notre société, aujourd'hui, le numérique est ultra-présent, que ce soit dans la sphère travail, éducative ou loisirs, donc qu'on le veuille ou non, on est face à ces outils-là et on est face à des contenus qui sont véhiculés par ces outils-là.
Je pense que l'enjeu est d'arriver à former des élèves qui soient, je dirais, préparés à faire des choix, à être aguerris, à être autonomes dans le choix des outils, le choix des contenus, l'évaluation des contenus.
Ça a été dit un petit peu, mais les outils évoluent beaucoup.
Il ne faut surtout pas penser qu'en formant un élève sur un outil, il aura les compétences pour la suite.
En fait, ces outils vont évoluer.
Il faut qu'il ait des compétences un peu méta, je dirais, pour pouvoir s'adapter ensuite à ces environnements qui sont sans cesse en évolution.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Anne, même question.
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-Il me semble que le premier grand enjeu, c'est la conscience, chez les élèves, de l'écosystème dans lequel ils sont baignés et des conséquences sociales, cognitives, économiques, environnementales et même politiques de leurs activités autour du numérique.
Ça, c'est le premier enjeu, à mon avis.
Le second, c'est le développement de l'esprit critique, c'est la capacité à utiliser l'information de façon éclairée et à accepter l'incertitude, d'un côté, tout en étant capables de faire confiance, et pas seulement se positionner dans une attitude de défiance qui peut être problématique.
Le troisième point, ce serait celui d'être capables de faire des choix éclairés et d'être, comme le dit John Dewey, des futurs citoyens enquêteurs, capables de poser des questions.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Finalement, Cheikh Ibra.
Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-Je vais reprendre le concept qui a été développé par le Conseil européen depuis maintenant 2016, qui est le concept de citoyenneté numérique.
Ici, l'enjeu, c'est de développer la citoyenneté numérique de nos élèves, qui se définit comme le maniement responsable et positif des outils numériques à tous les niveaux et dans une perspective de formation tout au long de la vie, tout en remettant la dignité humaine au centre.
Cela recouvre, je pense, tous les aspects.
Le numérique, ce n'est pas que technique.
Derrière chaque compétence numérique, derrière chaque outil numérique, il y a une personne humaine.
Et donc cela pose non seulement la partie technique, mais des questions éthiques et des questions de responsabilité, et notamment de valeurs, et une ouverture au monde, ce que permet aussi le numérique aujourd'hui.
On peut être dans sa chambre et découvrir le monde.
On est dans une perspective de citoyenneté mondiale.
Et pour ceux qui voudraient en découvrir plus sur ce concept de citoyenneté numérique, ils peuvent consulter, notamment, le référentiel de la citoyenneté numérique qui a été conçu par le Conseil européen et qui est divisé en trois parties, que je trouve aussi important, parce que cela recentre les débats sur l'humain : être en ligne, le bien-être en ligne, et citoyenneté en ligne.
On a les outils numériques, on a les compétences, mais derrière, n'oublions pas que c'est des humains.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Merci à tous les trois pour ces réponses et pour l'heure qu'on vient de passer ensemble.
Je me tourne vers les questions du tchat, parce qu'on a plusieurs questions qui vous sont destinées, évidemment.
"Questions-réponses" Une première question de Carole, qui, au moment où on a parlé de l'intrusion potentielle du numérique et des devoirs à la maison, du travail à la maison, nous pose donc cette question : "Quid du droit à la déconnexion des élèves ?"
Qui voudrait répondre ?
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-Je me lance, parce que j'ai l'impression que vous n'êtes pas très inspirés.
Absolument.
On en a parlé, de cette problématique du temps, de l'espace, du droit à la déconnexion.
Effectivement, supposer que les élèves seraient capables de rentrer à la maison et de continuer à travailler en permanence grâce au numérique, ça pose vraiment problème.
Mais je pense, en même temps, que les élèves eux-mêmes sont conscients de cette nécessité de déconnecter de temps en temps.
Il ne faut pas trop tomber dans les visions très apocalyptiques des élèves qui seraient tout le temps connectés, tout le temps en train de jouer, tout le temps en train d'utiliser du numérique.
Comme je le disais tout à l'heure, ils en sont conscients, même si c'est parfois difficile, pour eux, de déconnecter, ça, c'est vrai.
Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-Et je rajouterais juste que c'est pour ça qu'il est très important qu'on soit dans une dynamique de coéducation.
Parce qu'on ne peut pas voir ce qu'il se passe à la maison.
C'est les parents qui sont nos partenaires à la maison.
Et en ayant ces temps de construction, de stratégie, ils pourront, avec l'élève, et même associer l'élève...
Ils pourront prendre conscience, même s'ils le savent déjà...
Mais de voir que ça s'inscrit dans une démarche et qu'ils sont accompagnés par des adultes qui s'occupent d'eux, je pense que ça peut être un moyen, aussi, de plus permettre cette déconnexion nécessaire.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Merci.
On a d'autres questions.
Une, en particulier, sur les applications.
Est-ce que vous auriez des exemples d'applications qui soient accessibles et simples à appréhender ?
Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-À quelles fins ?
Des applications, il y en a beaucoup.
Par exemple, on a parlé de Socrative, qui permet...
un début de cours au moment où nous le souhaitons, et d'organiser des QCM.
Il y a Kahoot!
qui fait la même chose.
On a une application comme GitMind, qui permet de faire des cartes mentales et collaboratives, qui peut être très utile, qui s'inscrit dans une approche cognitiviste et qui permet aux élèves de manipuler l'information.
Je pense que c'est un outil qui peut être très utile en fin de séquence, qui permet aux élèves de représenter tout ce qu'ils ont appris et de faire des liens.
On a aussi un outil comme Halo AR, qui permet par exemple d'enrichir des objets qui peuvent être des pages de livres, qui peuvent être à partir d'un endroit vide.
On modélise des objets pour enrichir cet environnement.
C'est pour ça que ça s'appelle la réalité augmentée.
On a aussi des outils qui sont un peu plus experts, comme Articulate Storyline, qui permet de faire tout un parcours, et donc de scénariser son cours.
C'est un peu dans le genre de Genially, mais un peu plus avancé.
Romain Vanoudheusden, présentateur, puis Cheikh Ibra Ndiaye, enseignant formateur, INSPÉ - Université Paris-Est Créteil.
-Merci.
-Il y a beaucoup d'outils.
Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès.
-Juste un petit complément.
Ça montre bien que le panel est extrêmement vaste.
Tout dépend de l'objectif pédagogique de la personne.
Ça, c'est important.
D'où l'importance, encore, des communautés de pratique, des échanges entre enseignants : "Avec mes élèves, pour tel type d'activité, j'ai tel outil qui fonctionne très bien."
Et ça, il faut trouver des moyens de partager ça, pas que de manière descendante, c'est-à-dire aussi que ça vienne des enseignants entre eux.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Peut-être une question un peu plus macro, une question de Sylvie, qui nous dit : "Est-ce qu'on ne peut pas laisser l'utilisation du numérique et le numérique en général aux collègues qui le souhaitent ?"
Anne, vous disiez tout à l'heure : "Il faut que tout le monde s'en empare, parce que c'est partout."
Je pense que c'était partagé par vous trois.
Qu'est-ce que vous pensez de cette réflexion ?
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-Si on prend en considération le cadre normatif, nous sommes, je pense...
Tous les trois, nous formons des futurs enseignants.
Le cadre normatif, c'est que tous les futurs enseignants doivent être formés aux usages numériques, et donc, non, ils n'ont plus véritablement le choix.
La réalité, c'est qu'effectivement, c'est compliqué d'obliger quelqu'un à faire des choses à contrecœur et que ça représente une contrainte et un obstacle plutôt qu'une aide.
Je pense, comme Franck, que la communauté, aussi, est vraiment essentielle, et discuter ensemble, travailler ensemble autour de projets.
Le projet qu'on a vu tout à l'heure dans la vidéo.
Il y a peut-être, dans l'équipe des enseignants, quelqu'un qui n'est pas spécialement ni attiré ni compétent, mais qui pourtant peut travailler avec les autres grâce à une pédagogie de projet.
Franck Amadieu, professeur de psychologie cognitive, Université Toulouse-Jean Jaurès.
-Et si je puis rajouter un petit point : je pense que nos élèves utilisent le numérique.
Que je sois en cours de SVT, de physique, de lettres, ce que vous voulez, quand je vais demander à mes élèves de préparer un exposé, une évaluation, ils vont sur Wikipédia, ils vont sur Internet.
Un enseignant qui ferait comme si ça n'existait pas, je pense que c'est un peu dommage, parce que c'est s'abstraire de la réalité de l'élève.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Une dernière question d'ordre général.
"Dans quelle mesure, selon vous, on peut s'inspirer des pratiques ailleurs dans le monde, en particulier en matière d'hybridation ou d'enseignement avec le numérique ?"
Anne Lehmans, professeure en sciences de l'information et de la communication, Université de Bordeaux.
-Je pense que dans le monde, on trouve plein d'exemples extrêmement intéressants, et justement, des attitudes face au numérique qui sont parfois surprenantes.
Si on pense au Japon, par exemple, on utilise assez peu le numérique dans l'école japonaise, mais en même temps, certains enseignants l'utilisent pour monter des projets avec les habitants du quartier et les lycéens, par exemple.
Je pense qu'il y a des expériences qui sont intéressantes dans beaucoup de pays.
Dans les pays d'Amérique, aussi bien du Nord que du Sud, c'est très orienté vers les dimensions sociales, par exemple.
C'est toujours intéressant, mais c'est aussi difficile de greffer des pratiques qui sont nées ailleurs, dans des contextes différents.
Je pense qu'il faut avoir l'esprit ouvert, regarder ailleurs, mais aussi réfléchir à ce qui se passe chez soi et aux élèves que nous avons.
Comme le dit Franck, vraiment prendre en considération les pratiques des élèves, le fait qu'ils ont, à 99 %, un téléphone, un Smartphone, et qu'eux-mêmes ont un regard sur le monde, si tant est qu'ils puissent être ouverts.
Romain Vanoudheusden, présentateur.
-Nous sommes arrivés au terme de ce webinaire consacré aux compétences numériques en classe et hors classe.
Merci beaucoup à nos trois intervenants pour avoir partagé leur expérience et leur expertise.
Merci aussi aux équipes de Réseau Canopé pour l'organisation, et merci à vous qui avez suivi ce webinaire.
À bientôt pour de nouvelles formations autour du numérique.
Crédits
- Direction de publication : Marie-Caroline Missir
- Production : Réseau Canopé
- Partenariat : Pix
- Licence : CC BY-NC-ND 4.0
Ressource produite avec le soutien du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse
