Le numérique, à hauteur d'élèves (extrait webinaire)

Les pratiques informationnelles des élèves sont différentes de celles des adultes. Pour aller au-delà d'un jugement sur la validité ou non de leurs pratiques, il est intéressant de les encourager à devenir auteurs ou autrices de contenus médiatiques (texte, audio, vidéo) afin qu'ils et elles expérimentent les enjeux et compétences mobilisées. Avec Jocelyn Lachance, maître de conférences en sociologie, et Iris Iriu, professeure-documentaliste et référente académique Éducation aux médias et à l’information. Extrait du webinaire « Pratiques numériques des élèves, les comprendre pour mieux les accompagner »."

Transcription

"Les pratiques numériques des élèves : les comprendre pour mieux les accompagner" "Zoom sur : Le numérique, à hauteur d'élèves" Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-La peur, la peur, la peur.

On voit encore trop d'interventions où les gens mettent l'accent d'emblée, tout de suite, sur les dangers.

Laissons les adolescents venir eux-mêmes vers les dangers qu'ils veulent nous partager.

C'est beaucoup plus efficace que d'arriver avec nos propres peurs, nos propres angoisses, parfois avec un langage qui ne correspond pas tout à fait à la réalité des adolescents.

On a mené une enquête, on posait une question sur le harcèlement : "As-tu déjà été harcelé en ligne ?"

33 % "oui", 33 % "non", 33 % "je ne sais pas".

Qu'est-ce que ça vient nous dire, le "je ne sais pas" ?

Ça veut dire que, peut-être, le mot qu'on utilise ne correspond peut-être pas exactement à leur réalité.

Peut-être qu'il y a des réalités beaucoup plus subtiles.

Je prends l'exemple de la violence en ligne mais il y a peut-être des réalités beaucoup plus subtiles que ce qu'on croit qu'il existe et qui devrait être important.

Je trouve que dans cette posture, il y a beaucoup à apprendre.

On évite la posture d'autorité, mais on évite de commencer par la peur.

On peut aborder les risques sans tomber dans cet écueil.

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-On n'a pas parlé de désinformation, par exemple, mais là aussi, il y a des autoroutes d'écueils.

On va entendre beaucoup d'adultes qui disent : "Les élèves suivent les théories du complot, sont désinformés, vont vers les fake news."

Il faut regarder nos élèves.

On se rend compte, souvent, qu'ils sont surtout...

Quelque part, ils s'informent mal si le mal, c'est au regard de ce qu'on aimerait qu'ils fassent.

Effectivement, ils n'écoutent pas France Inter le matin.

Ils ont d'autres façons de s'informer qui nous renvoient à nos propres pratiques, puisque nous-mêmes, on a des pratiques d'information.

Et elles sont tellement différentes, elles sont tellement éloignées qu'on ne les comprend pas, et on va se dire : "Ils sont tellement mal informés que c'est de la désinformation."

Mais en fait, non.

On a des élèves, on l'a entendu, qui cherchent à bien s'informer, mais ils vont aller vers des formats plus courts, vers des formats numériques, c'est clair.

Le papier, on a très peu d'élèves qui y vont, mais ils vont aller ailleurs, et ça ne veut pas dire que leurs manières de faire sont invalides.

Ça ne veut pas dire non plus que les fake news n'existent pas, mais on peut accueillir ça aussi.

Kimi Do, Réseau Canopé.

-Est-ce que vous pouvez nous donner des exemples d'activités que vous trouvez particulièrement pertinentes à mener aujourd'hui en classe ?

Iris Iriu, référente éducation aux médias et à l'information, DRANE Auvergne-Rhône-Alpes.

-Moi, j'aime bien travailler sur le statut d'auteur des élèves, leur faire faire des pas de côté par rapport à leurs habitudes, mais continuer, par exemple, à les faire contribuer sur les réseaux sociaux, ou changer même ce statut de contributeur pour devenir auteur, par exemple journaliste.

Donc on peut, de manière très intéressante, travailler le média scolaire, donc la création d'un journal, d'une publication en ligne, d'une webradio, où l'élève va publier quelque chose, c'est un geste qu'ils connaissent bien, mais le faire avec un autre statut, très différent de leur statut privé.

Ils vont publier en étant journalistes d'un média scolaire, et ça implique beaucoup de changements.

C'est aussi un cadre formel, puisque le journaliste donne de l'information, donc il va relever du fait.

On n'est pas là pour dénigrer, on ne peut pas faire du prosélytisme.

Une activité en classe de média, c'est quelque chose qui est très propice à faire venir la réflexion, à faire grandir l'esprit critique.

On peut le faire aussi sur des publications en ligne, sur du microblogging type Twitter.

Ça, on peut le faire même tout petit.

On a des expérimentations, on voit en classe des professeurs des écoles qui créent des comptes de la classe.

Un groupe d'élèves, dans la classe, propose qu'on twitte : "Encore une fois, c'était pas bon à la cantine", on peut aborder le fait qu'on publie pour le groupe.

La responsabilité de publication, c'est le groupe.

L'enseignant, bien sûr, mais le groupe.

Est-ce que tout le monde est d'accord ?

Peut-être qu'il y en a qui ont bien aimé la cantine.

Est-ce que ça porte préjudice à quelqu'un ?

Et dans ce cas, si ça porte préjudice à la dame ou au monsieur de la cantine, qu'est-ce qu'on fait ?

Est-ce qu'on le met en difficulté et on publie quand même ?

Ou est-ce qu'on ne publie pas pour ne pas le mettre en difficulté ?

Ou est-ce qu'on lui donne un droit de réponse et c'est lui qui va blogguer la semaine prochaine ?

Ça pose la question de la responsabilité de l'auteur pour des tout-petits.

On peut faire débattre les enfants, et ils comprennent.

Les enfants sont socialisés.

Ça, c'est des activités qui vont indure la réflexion, mais on peut aussi avoir des activités d'analyse.

Il y a des choses très intéressantes sur les analyses des influenceurs : les codes, la façon dont ils s'expriment.

Des élèves qui n'ont jamais regardé de vidéos d'influenceurs, il y en a très peu, mais ils vont faire un pas de côté, et plutôt que d'être juste public, ils vont être critiques.

Et ça, c'est intéressant.

C'est comme quand on fait une analyse d'image, sauf que c'est adapté à des usages du quotidien.

Jocelyn Lachance, socio-anthropologue de l'adolescence, maître de conférences - Université de Pau.

-En vous écoutant, je me dis : dans l'avenir, il y a deux défis que je vois par rapport aux pratiques numériques.

Par rapport à l'information, par exemple, c'est qu'on voit parfois que des enfants et des adolescents vont avoir un rapport très affectif à l'information, et même, j'ai envie de dire, identitaire.

Je m'explique.

Si vous allez chercher de l'information à gauche et à droite et que vous avez le sentiment d'avoir trouvé l'information par vous-même, "tout seul", comme on nous a dit parfois dans les entretiens...

"Moi, l'information, je la trouve tout seul."

En fait, ils ne la trouvent pas tout seuls.

mais c'est une difficulté, parce que certains jeunes investissent l'information du point de vue de l'identité et non pas comme de l'information.

Le problème, vous le voyez tout de suite, c'est que finalement, ce n'est plus la vérité objective ou les faits qui comptent.

C'est autre chose, on est sur un autre registre.

Le deuxième défi, c'est qu'on est beaucoup sur les pratiques numériques.

Par contre, souvent, l'impensé, c'est la bonne distance.

C'est-à-dire qu'on pense les bonnes pratiques, mais on pense un peu moins la bonne distance, la capacité à se déconnecter.

Et vous l'avez peut-être observé, mais dans les entretiens, on l'a vu...

Je vais peut-être surprendre des auditeurs, mais les ados nous parlent de leur désir de déconnexion.

"Ah bon ?

Les ados veulent vraiment se déconnecter ?"

Mais vous savez ce qu'ils nous racontent ?

"On essaye, on fait des efforts, c'est difficile, mais les adultes remarquent seulement le moment où on se reconnecte."

C'est très intéressant.

Il y a quelque chose aussi à penser là.

Il faut qu'on change nos représentations, arrêter de partir avec l'idée que ce sont des hyperconnectés et qu'ils veulent toujours être connectés.

Dans beaucoup d'exemples, ils montrent qu'ils se connectent par défaut.

Quand ils sont sur les réseaux sociaux pour échanger avec leurs amis, ils nous disent que c'est parce qu'ils n'ont pas le temps de les voir, parce que ça va trop vite, ils sont loin, ils sont mobiles, etc.

Donc il faut faire attention à ça.

C'est les deux défis, je pense, auxquels réfléchir et à prendre en considération pour la suite.

Crédits

  • Direction de publication : Marie-Caroline Missir
  • Production : Réseau Canopé
  • Partenariat : Pix
  • Licence : CC BY-NC-ND 4.0

Ressource produite avec le soutien du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse

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